La menace derrière eux devenait manifeste. Ils dormaient peu, mal, et marchaient vite. Le Chah imposait un rythme soutenu à des estomacs vides et noués. Il devenait évident que la nourriture, tout comme l'eau, manqueraient vite si l'on s'attardait là. De plus, ceux qui les talonnaient le leur rappelait chaque fois qu'ils l'oubliaient un peu, gardant les nerfs à vifs.
Ils sont arrivés au pied du cratère épuisés.
C'était un large puit vers lequel la cendre glissait et dont le brouillard flottant au-dessus ne laissait que présumer du fond. Du peu qu'ils pouvaient présager, la dépression s'élargissait sur les côtés, beaucoup plus loin que leurs flancs, bien trop loin pour qu'ils n'en devinent les contours.
— Il faut contourner, a dit le Chah.
— Impossible, a répondu Nassim. Tarkaiès nous talonne. Il faut traverser.
Le Chah a jaugé ses proches et s'est arrêté sur Neige.
Depuis que le vieux sorcier s'était éclipsé l'autre soir, il était plus taciturne qu'à son habitude et parlait seulement lorsque le Chah le lui ordonnait.
— Neige ?
Neige a relevé la tête, puis s'est détourné et a fixé le trou qui béait à leurs pieds, noyé dans son lit de brume. Ils discernaient seulement le sol s'affaisser en pente douce. Il pourrait bien creuser le cœur de la terre que ça n'aurait choqué personne.
— Il faut traverser. Ça s'étend sur des lieux.
— Qu'est-ce ? a demandé le Chah.
— Un lac, a répondu Neige du tac-au-tac.
Il a ajouté vivement :
— Enfin, maintenant ce n'est plus qu'un grand trou avec beaucoup de cendres.
— Qu'avons-nous à craindre ?
— Rien de plus que les landes grises.
— Farouk ? a encore interrogé le Chah.
Farouk a semblé surpris. Ses yeux ont voyagé entre chaque visage sans s'attarder.
— Euh, je pense que nous devrions écouter Neige. C'est le mieux informé.
— D'accord. Allons-y.
Ils ont amorcé la descente et il a fallu s'y mettre à plusieurs pour forcer les bêtes, moins décidées encore que les hommes à entamer la plongée vers de nouvelles ténèbres. Les chevaux ont rué en hennissant, et le vacarme de leurs cris résonnait comme une grande mise à mort parmi le silence.
Le Chah dépêchait des éclaireurs, devant et derrière, et ces courageux, soigneusement triés, partaient toujours avec une mine affreuse, et revenaient plus fous. Ils n'avaient plus que quatre canassons, l'un d'eux n'étant jamais revenu, et le Chah déplorait sa perte autant que celle de son valeureux cavalier.
— Selim était déjà là, quand nous avons quitté Caffoue, disait le Chah. Il m'a suivi dans tout le désert, il y croyait. Pour quoi, finalement ? Pour disparaître dans cette terre immonde ? Oublié de tous, de ses amis et loin de sa famille...
— Lorsque nous serons là-haut, nous planterons une graine de caroubier pour Selim, répondait Nassim. Cet homme était un brave, honorable sur tous ses aspects. Je me souviens encore quand il s'est joint à nous.
— Oui, et c'était même avant toi...
Il a désigné Neige du menton, mais ce dernier y est resté insensible.
Quand la pente a cessé de s'enfoncer, le terrain est redevenu plat, courant comme une longue plaine. Rien de dissemblable à ce qu'ils connaissaient déjà, à la différence qu'ils posaient parfois le pied sur du solide, qui craquait sous leurs pas. Mais ils n'osaient regarder, de peur de ce qu'ils pourraient voir, et étaient simplement trop fatigués pour prendre la peine de se baisser. Aussi, ils restaient aux aguets. Des vautours les harcelaient régulièrement depuis des heures, des jours peut-être ; et ceux-ci se révélaient étrangement plus féroces, jusque dans la difformité de leur aspect.
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Shanalah [TERMINÉ]
FantasyLa lutte de Shanalah, fille du désert, et de sa famille qui fuient leur monde ravagé. Ce là-haut existe-t-il réellement ? *illustration temporaire réalisée à l'aide de l'IA Midjourney