Salma a réfléchi, pas longtemps :
— Non, a-t-il dit.
À sa gauche, un type dont les avant-bras épais se croisaient sous des pectoraux saillants a hoché la tête. D'autres ont raillé. Salma s'est encore ragaillardi de l'approbation des Rôffiens.
Un rictus a barré sa face glabre.
— Écoute, Salma : tes gars sont les plus solides pour ce job.
— Alors on nous envoie au casse-pipe ? C'est non. On ira pas là-bas.
Maintenant qu'on lui offrait le choix de penser, Salma découvrait des trucs auxquels il n'aurait pas songé autrement. C'était vachement plus simple, quand même, de suivre les ordres. Pourtant, on lui donnait le loisir de ne pas le faire en lui demandant son avis.
Au milieu de « ses hommes », convaincus par son discours, Salma se sentait la confiance d'un monarque. Il a enchaîné :
— Si ça doit cogner, le Chah sera content qu'on soit là. C'est pas aux hommes de Rôffa de faire le sale boulot. Que le Chah demande à ses paysans.
La fraternité a pointé, à travers ce refus d'explorer l'inconnu. Un type a ajouté :
— Qui nous dit que le Chah veut pas se débarrasser de nous ? Ouais, hein, qui le dit ?
— Qu'il le fasse lui-même, a craché un autre.
— Ouais !
Nassim a attrapé sa tête, mais s'est contenu. Il a regardé Salma droit dans les yeux et s'est adressé à lui :
— On veut tous la même chose, Salma. Aller là-haut.
— Je te crois pas.
— On est tous parti de Caffoue pour la même raison.
Trop tard. Nassim s'était enfoncé : les ordres n'y ressemblaient pas et avaient été contesté sans que menace ne fuse. Cet homme, émissaire du monarque, n'avait aucun poids puisqu'il usait de discours pour convaincre. Quand Salma a constaté la toute-puissance que lui conférait la meute, les répercussions lui apparaissaient trop lointaines pour qu'il ne les considère. Aussi, il a cherché à affermir son droit à mener ses hommes, plutôt qu'à protéger sa position future.
Il a approché son visage avec malveillance et a susurré :
— Je ne crois pas, petit nobliau de merde. Je fais pas confiance à des types de ton espèce.
Un rire aigre a contaminé les spectateurs. Nassim a juré intérieurement. Le groupe découvrait des dents en ricanant, l'air hostile, et toute parole serait vaine : la fierté de Rôffa primait, à travers ses représentant. Ceux qui iraient à l'encontre seraient écrasés, même au sein de la meute. Il n'y avait plus qu'à abandonner. L'autorité du Chah se noyait à travers Nassim, au milieu de ces types qui savaient se battre, aimaient ça et qui n'attendaient peut-être que l'occasion de le faire, qui que soit l'ennemi. Salma, lancé, a renchéri :
— Maintenant, dégage. Retourne creuser les jupons de ta mère. Et trouvez quelqu'un d'autre pour votre sale boulot.
Nassim ne manquait ni d'autorité, ni de caractère. De jugeote non plus : il en avait à revendre. Il savait qu'en traitant avec autrui, il fallait s'adapter au public. Dans un autre contexte, ces types auraient risqué la corde ; mais au milieu d'un cafouillis de brouillard, de nulle part, sans règles ni personne pour les appliquer, les lois changeaient. Tristement, ces hommes étaient nécessaires. Une mutinerie, non. Il aurait le loisir de les condamner plus tard, pour l'instant la survie du reste dépendait de la capacité de chacun à lisser ses attentes.
Non, personne ne se risquerait décemment là-haut. C'était parce que Nassim lui-même ne le voulait pas qu'il peinerait à en convaincre d'autres : quels arguments pourraient-ils bien opposer à des gens qui offrirait la même défense que la sienne ? Ceux-là n'avaient même pas à convaincre.
S'il l'annonçait, Nassim devrait détailler son échec et l'expliquer : le Chah voudrait une solution efficace. Il n'y en aurait pas. Le Chah insisterait. Le rôle de Nassim était de trouver des solutions quand elles n'existaient pas, ce qui consistait à prendre les décisions qu'on ne souhaitait prendre.
Alors Nassim a choisi d'y aller lui-même.
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Shanalah [TERMINÉ]
FantasyLa lutte de Shanalah, fille du désert, et de sa famille qui fuient leur monde ravagé. Ce là-haut existe-t-il réellement ? *illustration temporaire réalisée à l'aide de l'IA Midjourney