Chapitre 19

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Ils n'ont retrouvé que des cadavres. Les vautours s'affairaient déjà, une multitude. L'un d'eux a relevé sa tête rose dénudée. Il a penché la tête, observé les gêneurs avec ses petits yeux intrigués, comme si ceux-ci ne faisaient que les déranger dans la tâche la plus anodine qu'il soit ; et a repris son œuvre, chassant à grands coups de bec celui qui picorait à sa place. Ils n'ont pas paru troublés par l'arrivée des humains.

Farouk restait muet. Il a découvert Tarik le premier, et encore une multitude de marques dans le sable. Tarik s'était défendu. Peut-être battu, lui qui détestait la violence. Le garçon restait figé, la face tordue d'un vilain sourire, comme s'il riait encore pour la dernière fois. Le cœur de Farouk s'est serré car il y avait beaucoup trop d'oiseaux pour un seul homme. Plus loin il a trouvé Djikil, avec Tilik et Kilik, encore crispés de peur. Le grand homme noir avait les bras lardés de coups et luisait de sang séché et de sable. Il avait donné sa vie pour défendre les jumeaux mais ça n'avait suffi. Puis il y a eu Séki, abattu pendant qu'il courait. Il affichait un regard figé d'horreur, comme s'il avait eu le temps de voir venir sa propre mort. Farouk a remarqué les yeux de Shanalah : la mort infligée à ce gamin qui avait son âge l'a frappée plus que les autres. Ils ont retrouvé Abdallah allongé, les bras en croix. On aurait dit qu'il avait attendu la mort assis et près à l'accueillir, comme une bénédiction ou la fin inéluctable.

Inconsciemment, Farouk cherchait à entendre les cris mais seul le silence frappait. Finalement, ils ont trouvé le bébé encore dans les bras ensanglantés de Sonia. Contrairement aux autres, Farah était vierge de sang et ne semblait pas blessée. Au-dessus, le soleil brûlait. Il brûlait tout.

Nalah s'est agenouillée et a sangloté en tenant l'enfant. Il était complètement desséché. Yasmine et Salah, eux, avaient disparu.

Cette fois-ci la Grande Armée n'a fait aucun prisonnier. Farouk et Abdé étaient passés à l'avant, le sergent ne les avaient pas à la bonne et les y a forcés. Selon lui, ils étaient « trop bizarres ». Ils charriaient des cadavres au bûcher pendant que d'autres cuisinaient les autochtones. Ceux qui se sont montrés conciliants ont aussi été massacrés. On ne recrutait plus, on interrogeait. Le petit qui avait trucidé le prince du désert Cheik dirigeait les opérations. Ses soldats y ont pris un malin plaisir. Le Chah cherchait quelque chose. Il s'est amené pour poser des questions à un vieillard braillard. Le Chah semblait pressé et peu conciliant. Son visage ne souffrait d'autre expression que l'ennui et les hommes de Rôffa ont commencé à cuisiner le vieux qui n'arrêtait pas de hurler. Il a continué à brailler ses insultes même quand ils l'ont torturé. Le Chah a dépêché des cavaliers au nord, puis il a regardé ce vieillard qui ne voulait pas mourir, et a ordonné qu'on l'exécute. Les hommes de Rôffa ont râlé mais ont obéis. Quand tous les morts ont été incinérés, ils sont repartis.

Les cavaliers sont revenus en milieu d'après-midi. Des sergents montés ne cessaient de traverser la file et le Chah lui-même remontait puis redescendait parfois, menant ses opérations à l'arrière comme à l'avant. Les hommes sont revenus avec une prisonnière, une femme dans un état piteux, probablement déshydratée. Le Chah s'est éloigné avec elle. Il a refusé qu'on l'accompagne et les hommes ont râlés.

— Qu'est-ce qu'on cherche ? a demandé un cavalier.

Farouk était dans la ligne de tête, et les hommes chevauchaient près d'Abdé et lui. Il a entendu l'un des hommes qui avaient ramené la femme répondre :

— Une gamine, je crois.

— Alors c'est ce genre de mec, le Chah, a dit l'autre.

Le premier a haussé les épaules :

— Faut croire.

Farouk a regardé dans la direction où avait disparu le souverain. Il l'a vu décrocher un sac et le donner à la femme, avant de revenir au galop vers ses hommes. À genoux, elle a attendu quelques instants avant de se relever et de courir vers eux. Elle a trébuché et un rire a enflé dans la colonne. Le Chah s'est retourné et a vu la femme qui s'amenait vers eux. Il a fait un mouvement de la tête, comme de dépit, et a jeté son cheval sur elle. La lame de son sabre a scintillé dans l'axe du soleil et s'est abattu sur la femme qui ne s'est plus relevée ensuite. Un soupir s'est élevé des rangs.

Shanalah [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant