Chapitre 5

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Farouk n'avait jamais été très expansif sur sa vie. D'après Nalah, il était né autour de Jhaforr, une ville aujourd'hui détruite. Lors du sac de la ville, le jeune Farouk ne dépassait pas les dix ans. Probablement orphelin et livré à lui-même, il s'était débrouillé pour survivre et dès qu'il avait pu, avait rejoint un prince du désert du nom de Sapojha pour le servir – le même, disait-on, qui avait ordonné le sac de Jhaforr. Féroce guerrier, Farouk participa à plusieurs batailles de son maître et gravit rapidement les échelons jusqu'à se faire un nom aux oreilles mêmes de Sapojha qui vint le voir pour lui proposer de devenir l'un de ses lieutenants.

Les princes du désert étaient nombreux ; en fait, quiconque ayant une armée se revendiquait généralement comme tel et ils livraient des guerres continuelles les uns contre les autres pour des choses aussi basiques que des ressources et du territoire. Le désert abritait quelques grandes villes mais pour Shanalah, elles faisaient offices de mythes. Parfois Farouk se sentait l'âme d'un conteur et il lui arrivait alors de parler de Tsilibi, de ses remparts monstrueux et de ses tours dressées vers le ciel, de son palais d'or et de ses mets raffinés qu'on ne trouvait nulle part ailleurs ; mais aussitôt qu'il s'épanchait sur le sujet, Farouk finissait par devenir taciturne et sombrait dans le mutisme.

Quant à Nalah, de tout ça elle n'en savait rien. C'était une fille du désert, une nomade rouée à la vie la plus rude. Elle était plus bavarde que Farouk sur sa propre vie et, contrairement à celui-ci, accueillait avec joie les questions sur son passé dont Shanalah raffolait la presser. Mais les récits de Nalah ne passionnaient pas autant Shanalah que ceux de Farouk. Elle connaissait assez sa vie de nomade à elle pour s'ennuyer des anecdotes de sa mère qui la lui rappelait. Celle de Farouk la fascinait car lui paraissant teinté de merveilles et de mystères. Il devait avoir vu tant de choses qu'elle ne pouvait imaginer. Là encore elle enviait Abdé, parce qu'elle ne considérait pas qu'Abdé était un gamin à cette époque et n'en savait pas beaucoup plus que ce que son père en racontait. Shanalah était du genre à fantasmer. La vie dans le désert était rude pour tous.

— Farouk, qu'est-ce que tu as fait à Sapojha ?

Shanalah a entendu son père grogner et Nalah rire. Ils venaient d'allumer un feu et cuisaient la viande d'un dromadaire qu'Abdé et lui avaient chassé dans la journée. À cette époque, ils vivaient dans une petite communauté qui avait trouvé refuge à l'ombre d'une montagne.

— Zut alors, Farouk ! s'est exclamé Tarik. Tu vas enfin nous la raconter, cette histoire ?

Tarik était le fils d'Abdallah, le chef de cette petite communauté. C'était un gars rieur qui aimait animer les soirées autour du feu. Il avait toujours des histoires à raconter, que Shanalah prenait pour vraies. Ça amusait particulièrement Abdé qui savait que Tarik n'avait jamais quitté le désert.

— Tu penses quand même pas que je vais aller te dénoncer ? a-t-il continué. Quoique... (il a fait mine de réfléchir) ça pourrait me rapporter gros, cette affaire. De quoi me la couler douce pour une vie à Solijiri ou Tsilibi...

— Oh, ça va ! Tout le monde sait qu'il l'a zigouillé, ce zouave de Sapojha ! Et il l'a bien mérité, si vous voulez mon avis, a répondu Djikil, mari de Sonia, la fille d'Abdallah.

Avec la famille de Farouk, ils étaient douze dans la communauté car celle d'Abdallah comptait sept membres, dont les trois fils de Sonia. Vivre près de la montagne leur apportait fraicheur et rendait le désert supportable. Ils avaient creusé un puit, vivaient dans des tentes et élevaient des chèvres.

— Allez Farouk ! Raconte l'histoire, ils disent des bêtises eux !

Farouk a souri. Il souriait beaucoup, quand ils étaient là-bas.

Shanalah [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant