Une corne a annoncé l'arrivée du Chah. Farouk, comme le reste des soldats, a regardé le soleil apparaître à l'horizon. La nuit avait été sanglante. Plusieurs corps restaient abandonnés au sable. Jazir a hurlé ses ordres mais les hommes ont refusé de bouger. Une bannière est apparue dans la lumière naissante. Les hommes de Rôffa campaient leur position. Au centre, celui qui avait été le prisonnier tenait sa lame ensanglantée du bout du bras, la pointe posée au sol. Il a souri à Jazir.
Jazir lui-même s'est approché. L'autre l'a regardé faire, immobile. Seuls ses yeux suivaient. Jazir a ramassé le corps qui était encore à ses pieds, et l'a trainé vers le bûcher. Deux hommes se sont rués pour l'aider. L'autre jubilait. Ils n'étaient qu'une centaine mais tous semblaient les craindre. Son torse était couvert des brûlures que lui avait infligé le soleil.
Farouk a distingué la dune rouge affichée sur le drapeau d'un héraut, hissé sur un pur-sang à la robe jais. Il s'est demandé comment allait Abdé. On l'avait emmené dans la tente où s'entassaient les blessés et les malades. Le garçon avait tenu tête à l'homme de Rôffa. Son avenir dépendait du sort du traître.
Les hommes montés sont arrivés les premiers. Un groupe de cinquante personnes lustrées dans des armures qui paraissaient neuves. L'un d'eux, svelte, est descendu avec désinvolture. Il s'est approché au milieu des hommes qui s'écartaient, et s'est planté au milieu.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ? a-t-il dit négligemment. Ce n'est pas sérieux, ce désordre.
Il a observé les cadavres autour de lui avec haine et dégoût.
Jazir s'est approché et s'est incliné. Le garçon n'était pas vieux, et gardait ses longs cheveux noirs au vent. Une vilaine cicatrice lui tordait le coin de la bouche.
— Une insurrection...
— Ah bon, l'a coupé le garçon. Qui donc se rebelle ?
Il a dardé un regard vers le groupe de Rôffa et a souri. Le traître le lui a rendu. L'homme s'est approché de lui, et s'est campé face au rebelle.
— C'est toi, hein ?
Ils conversaient en dialecte. L'autre lui a répondu dans sa langue :
— Moi et mes hommes sommes en désaccords avec les mesures imposées par le capitaine. Elles ont outrepassé le pouvoir qui lui a été confié.
— Ah bon... a dit le garçon. Capitaine Jazir ?
Il s'est tourné vers l'intéressé :
— Il va falloir débarrasser ces cadavres au plus tôt. Nous ne nous attarderons pas car je crains que l'usurpateur ne traîne dans le coin. Je ne voudrais pas que ses sbires immondes se servent dans les restes que nous leur auront laissés.
Jazir a hoché la tête et s'est apprêté à donner les ordres adéquats mais le garçon l'a arrêté :
— Attends, il s'est encore rebellé, n'est-ce pas ? Ce carnage est de son œuvre ? Je le saurais tôt ou tard, si ça n'était pas le cas.
— Mon Chah... a commencé l'autre.
— Ta gueule !
En disant ces mots, le Chah s'est retourné et a décoché une violente claque au traître. Son visage a effectué un aller et retour avant de retrouver sa position d'origine. Les traits du Chah, devenus durs, se sont détendus l'instant d'après. Il a souri à l'autre en le regardant dans les yeux :
— Tu ne parleras que lorsque je te l'ordonnerai. Est-ce bien compris ?
L'autre a hoché la tête en silence et a baissé les yeux. Toute fierté avait quitté son visage.
— C'est vrai, a dit Jazir. Ce sont lui et ses hommes qui ont initié un acte séditieux.
— Je vois... a murmuré le Chah à haute voix. Ses hommes aussi sont responsables ?
— Oui.
Un frisson a parcouru l'assemblée des hommes de Rôffa. Le Chah les a dévisagés, longtemps. Tout le monde gardait les yeux rivés sur la scène et retenait son souffle.
— Que celui qui veuille prendre sa place m'en débarrasse, a-t-il dit en s'éloignant, avec un geste de la main qui signifiait tout son désintérêt pour la suite. J'attends seulement de ce nouveau prince qu'il me serve avec une plus grande fidélité que l'ancien.
Une rumeur a parcouru les rangs des hommes de Rôffa.
— Malik... a commencé le traître.
Le Chah n'a pas répondu. Quand il a été assez loin, il s'est assis en tailleur sur le sable, face au prince traître :
— J'attends, a-t-il dit.
Les hommes de Rôffa se sont dévisagés. L'un d'eux a commencé à s'approcher, mais un colosse l'a attrapé par l'épaule pour le retenir et l'a dépassé. Il s'est campé face au prince et a brandit son sabre. Le prince a paré juste à temps et le combat s'est engagé entre les deux hommes. Le prince avait le dessus en technique mais l'autre avait la force en plus et l'épuisement en moins. Pourtant, le prince a touché l'autre au bras et lui a fait lâcher sa lame. Mais au moment où il allait achever le colosse, un type plus petit qui s'était faufilé lui a fichu sa lame dans le corps :
— Désolé, mon prince, a-t-il soufflé dans sa langue.
Le prince s'est écroulé. Le colosse qui se tenait la main s'est relevé mais avant qu'il n'attrape sa lame, le petit lui glissait la sienne dans le torse et l'a tournée. L'autre a poussé un râle rauque, et s'est écroulé en s'étouffant dans son sang et dans le sable.
Le prince se tenait le flanc où il avait été blessé. Il survivrait.
— Achève le, a ordonné le Chah.
Le petit s'est approché du prince a genoux, est passé derrière lui et l'a tiré par les cheveux pour dégager sa gorge. Il a fixé le Chah mais ce dernier n'a pas réagi : il regardait le ciel. Alors l'homme a tranché.
Le prince a essayé de parler mais rien d'autre n'a jailli que son sang. Il est retombé la tête dans le sable et est mort.
Le Chah s'est levé et a applaudi :
— Bien. Voilà qui est réglé. (Il s'est adressé aux hommes de Rôffa) vous avez un nouveau chef, désormais. Mais surtout, tâchez de ne jamais oublier celui à qui celui-ci s'en réfère : c'est-à-dire moi.
Tandis qu'il retournait à son avant-garde, il a ajouté sans se retourner :
— Et vous vous occuperez de me débarrasser ce bordel. Je ne veux surtout pas voir qui que ce soit d'autre s'y mettre. Rompez. Jazir, dans tes quartiers. Je viendrai t'entretenir.
Farouk est resté abasourdi. Au moins, ce n'était plus la menace d'être un ennemi ou un traître qui menaçait la vie d'Abdé.
VOUS LISEZ
Shanalah [TERMINÉ]
FantasyLa lutte de Shanalah, fille du désert, et de sa famille qui fuient leur monde ravagé. Ce là-haut existe-t-il réellement ? *illustration temporaire réalisée à l'aide de l'IA Midjourney