Chapitre 29

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— Qu'est-ce qu'on attend ? demande Farouk.

L'attente.

Un horizon d'une brume poisse, dressée comme un rempart d'où l'adversaire est invisible, tapi dans l'ombre comme un félin qui aiguiserait ses griffes. L'inconnu comme ennemi. Qui l'a vu ? Personne. Il se masque, il patiente. Pourquoi n'a-t-il déjà frappé ? Il attend peut-être que l'on se débande, un moment opportun pour agir. À quoi ressemble-t-il ? Il pourrait être n'importe quoi. L'estomac grince, la gorge brûle, gratte et s'irrite. On a soif, on a faim. L'esprit se fâche : on ne craint pas la fatigue, non, on est trop à cran pour céder au sommeil ; pourtant l'ennemi doit bien guetter un signe de somnolence pour agir, alors on secoue la tête et l'on scrute, là où le regard se noie, jusqu'à ce que la vue devienne trouble et qu'on cligne des yeux.

— Abdé !

Rester alerte.

Farouk tourne la tête : Abdé s'excuse du visage, cesse de taper du pied.

Ça le reprend, à peine plus tard. La cendre décolle en souffles de poussières autour de sa jambe tendue. Il s'arrête, regarde autour de lui et reprend.

Une rumeur fraie la ligne, murmure étouffé qui fait jaser à voix basse.

Soudain : un cri.

Les muscles se contractent, les bras s'affermissent et se dressent, le bruit de métal contre métal résonne dans le silence ; l'on a frappé son arme contre le bouclier du voisin.

On ouvre la bouche et on souffle.

Les épaules se relâchent, les traits se lissent sans perdre de leur angoisse. On aperçoit l'homme qui a quitté le rang disparaitre. C'est terminé. L'idée de le suivre traverse même devant l'évidence de sa fin. C'est insoutenable.

Le Chah réagit enfin :

— Gardez la ligne !

L'écho de ses mots rebondit ; puis les ordres transpercent, relayés par ceux désireux de vaincre le silence. On les entend toujours qu'on les répète encore : c'est cela de gagné sur le vicieux adversaire.

— Qu'est-ce qu'on fait ? demande Farouk.

On attend.

Le Chah offre un visage crispé ; il ne répond pas. Sa lame bouge, faiblement, son bras est agité. Il se replonge dans le néant d'où l'on doit venir.

Peut-être que nul ne viendra, après tout. Qui a dit qu'ils viendraient ? C'est le Chah ? Peut-on lui faire confiance ? Que sait-il que nous ne sachions pas ? Finalement, ce n'est qu'un homme, lui aussi. Peut-être s'est-il trompé, a-t-il été trompé.

Farouk regarde ailleurs, mais ne voit rien. Où est-il ce là-haut ? Existe-t-il ce là-haut ? Pourquoi sommes-nous tous ici rassemblés ?

Pourquoi avoir suivi cet homme ?

Pourquoi ?

Pourquoi ?

Pourquoi ?

Shanalah [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant