16- Fuir

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"Théo? Théo! "

         Ce n'était qu'un murmure, Benjamin pensait l'avoir rêvé alors qu'il commençait à s'endormir d'épuisement et de souffrance, comme après chaque session. Mais quand il ouvrit difficilement les yeux, il vit Rémi, écroulé par terre aussi, mais cette fois-ci bien plus proche de lui que d'habitude. Il vit ses lèvres se mouvoir alors qu'il l'appelait de nouveau. Benjamin referma les yeux et lui répondit, d'une petite voix faible. Rémi ne s'attarda pas à lui demander comment il allait, il le savait de toute façon, et il fallait faire vite et discret s'ils ne voulaient pas être pris en train de communiquer.

"J'ai gardé le badge, ils ne l'ont pas trouvé quand ils m'ont fouillé. Je viens de me rendre compte qu'il était encore dans mon caleçon où je l'avais caché sous la précipitation, expliqua difficilement Rémi en retenant une toux de souffrance, du sang s'écoulant encore de sa bouche. On a peut-être une chance de s'en sortir...

- Je n'aurai jamais la force de fuir Rémi, j'ai aucune énergie je ne suis plus rien, je veux mourir... " se plaigna Benjamin d'une voix morne.

         Il essayait de s'imaginer sortir de cette pièce d'enfer, suivre Rémi dans le labyrinthe, courir peut-être dès qu'ils se feraient repérer, et réussir à sortir, retrouver l'air frais, la liberté. Mais il avait déjà l'impression de ne plus vivre, il était incapable de tenir debout, il ne sentait plus ses membres, incapable de marcher ni même courir, encore moins de se battre pour s'échapper, tout cela lui paraissait si impossible. Il avait seulement l'impression que son corps se désagrégeait chaque jour, il sentait que son coeur battait encore faiblement, mais le reste était déjà mort, il ne voyait même plus l'intérêt de sortir d'ici, il n'était plus lui-même, il n'était plus rien.

"Théo, tu peux le faire, pense à ceux qui t'attendent dehors, il faut qu'on sorte d'ici!"

         Le cœur de Benjamin se brisa. Il pensa à Pierre, il pensa à Milo, il avait de plus en plus de mal à imaginer leurs visages devant lui, leurs traits s'effaçaient, mais il ne voulait pas les oublier, ni les abandonner. Il déplaça avec difficulté son bras, et posa ses yeux sur ses deux bracelets qui ornaient toujours son poignet, comme témoins de sa vie passée qu'il voulait avant tant retrouver. De son autre main fébrile, tremblante, il détacha avec difficulté un bracelet, celui que Pierre lui avait offert. Il ne l'avait jamais enlevé avant ce moment, et ça lui fendait le cœur de le faire, mais c'était préférable, il avait pris sa décision. Il le regarda une dernière fois au creux de sa paume, avant de le tendre à Rémi qui le regarda sans comprendre.

"Fais ça pour moi s'il te plaît, prends-le et si tu sors d'ici, la seule chose que je te demande c'est de l'envoyer, n'y va pas toi même, envoie le sans rien, ils comprendront."

         Benjamin lui donna l'adresse de de la deuxième version de maison grise dans le sud, pour prendre le moins de risque possible. Il s'assura que Rémi l'apprenne par cœur, et lâcha le bracelet, le cœur serré.

"Théo, j'ai pas l'intention de sortir en te laissant là! On peut s'enfuir ensemble, tu ne dois pas rester là j'ai un peu appris à te connaître et tu ne le mérites pas! Viens avec moi!"

         Benjamin hocha doucement la tête, lui suppliant de ses petits yeux fatigués d'accepter tout de même sa requête, "si jamais".

         Ils attendirent un peu, vérifiant que personne ne venait parce qu'ils avaient vu qu'ils se parlaient. Mais personne ne vint. Et Rémi ne voulait pas attendre de vivre une autre session de souffrances qui les affaibliraient encore plus, alors il prévint Benjamin et se leva, se précipitant vers lui pour l'aider à se lever. Les jambes de Benjamin tremblaient sous lui, incapables de supporter encore le reste de son corps. Ils sortirent de cette salle d'enfer en clopinant. Benjamin s'appuyait au mur en essayant de suivre Rémi qui lui semblait totalement concentré sur sa mémoire, c'était aussi un effort pour lui de réfléchir suffisamment pour ne pas se tromper, et il ne devait pas se tromper, pas maintenant. Au bout d'à peine quelques minutes, ils entendirent des pas dans le couloir, se rapprochant d'eux. Benjamin comprit que c'était son moment, il avait pris sa décision, et ne changea pas d'avis, même la peur au ventre de se faire de nouveau maltraiter. Il attrapa le bras de Rémi, qui se tourna vers lui sans comprendre :

"Cours Rémi, va-t-en, je vais te faire gagner du temps. Ne proteste pas, je ne peux pas partir, que j'ai la force ou pas, de toute façon si je pars ils s'en prendront à ma famille et mes proches, et c'est pour ça que je suis là à la base, pour éviter ça, je dois rester pour les protéger...."

         Benjamin avait une voix déterminée, mais ses yeux étaient remplis de larmes. Rémi hocha la tête, la mine triste :

"Théo, je reviendrais te chercher. Que tu sois de leur famille ou pas, je m'en fiche de savoir ça maintenant, tu leur résistes et tu mérites d'être libre autant qu'ils méritent d'être détruits. Je ne m'arrête pas là je reviendrai, tiens bon t'es un guerrier!"

         Benjamin sourit, ému. Il avait conscience que c'était peut-être faux, que Rémi ne reviendrait peut-être jamais pour lui vu les risques, mais il s'en fichait maintenant, lui ne pouvait raisonnablement pas partir.

"N'oublie pas le bracelet s'il te plaît"

         Rémi lui promit de s'en occuper, et Benjamin se retourna, partant vers les bruits de pas pour ralentir les hommes un minimum et espérer que Rémi s'en sorte. Il était épuisé autant physiquement que mentalement, mais il était déterminé, quitte à mourir, à tenir jusqu'au bout et détruire l'organisation. Il sentait de toute façon qu'il n'était plus lui-même, il avait perdu son âme, et il ne se voyait pas retrouver sa vie d'avant alors qu'il vivait en étant mort à l'intérieur, imaginer son retour dans cet état le terrifiait. Alors sa décision avait été prise, il renvoyait son bracelet à Pierre, espérant qu'il comprendrait, et il restait ici pour au moins finir ce qu'il avait commencé et protéger Pierre et Milo pour tout le reste de leurs vies. S'il ne pouvait pas revenir auprès d'eux en tant que le Benjamin pétillant et vivant qu'ils avaient connu, il devait au minimum les débarrasser de sa famille italienne.

VERRECROCE - Il revient quand?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant