D'un monde meilleur...

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Après avoir fait un très rapide résumé de son entretien, le provéditeur de la confrérie de la Miséricorde constate :

- "Nous sommes douze présents, dont trois prêtres. Qu'ils se tiennent un peu à l'écart."


Le jeune prêtre se rapproche des deux autres.


Un détail le surprend, la présence du sac des fèves noires et blanches.

Ce sac ne sert qu'une fois par an, le 24 Août pour être précis, date anniversaire du jour où aurait été retrouvée la tête de Saint Jean Baptiste pendant une croisade. La confrérie de Saint Jean décollé peut alors gracier un condamné. Le vote est individuel et secret. Il se fait à l'aide du sac et des fèves.


De mémoire, c'est la seule utilisation qu'il connaît.


Le provéditeur reprend la parole.

- "Nous avons tous pu croiser les membres de cette illustre famille Cenci, voire en fréquenter l'un ou l'autre, notamment depuis leur retour en ville, après le meurtre du père.

Rome a pris fait et cause pour eux. Ces exécutions vont donc probablement faire grand bruit, d'autant que la clémence papale ne s'est que peu appliquée ces derniers temps. Je sais que notre devoir l'emporte sur toutes autres considérations, mais j'ai néanmoins choisi que le hasard pourvoie à l'accomplissement de notre mission d'aujourd'hui.

Le sac contient six fèves noires et trois blanches. Les trois confrères qui retireront ces dernières feront équipe avec un prêtre qui recevra les confessions. Le premier ira à la Tor di nona, les deux autres chez les Savelli."


Le tirage effectué, trois couples sont prêts à partir.


- "J'ai fais envoyer un coursier chez le barbier-chirurgien Cioffi de la rue des Carrosses. En descendant, celui-ci ira en premier à la Tor di nona et ensuite chez les Savelli. Nous autres prenons en charge les relations avec les bourreaux et le juge, ainsi que le transport des corps au retour.

Le temps nous manque, nous ferons la prière chacun de notre côté."



Le jeune prêtre se presse avec trois confrères pour la prison Savelli.

Partis en habits et cagoulés, leurs silhouettes singulières forcent le passage, et ceux qui les touchent ou frôlent par inadvertance se signent plusieurs fois en gestes peureux et rapides. Tout romain connaît la confrérie de la Miséricorde et son rôle.

Cependant, peu savent qu'elle a, dans son attribution, l'annonce de la condamnation à mort et du refus d'une grâce éventuelle.

Leur mission commence donc toujours de la pire manière.


La petite troupe lugubre traverse, volontairement, le ghetto, laisse sur sa droite le palais Cenci, et enfin, traverse la place en brique devant le palais Farnese.


Expulsée du Campo di Fiori voisin, une troupe de « commedia dell'Arte », tente de convaincre les gardes du Palais de les laisser installer leur estrade au bord d'une monumentale baignoire en marbre, vestige de thermes antiques qui trône maintenant sur la petite place. Des badauds hilares assistent à ce drôle d'échanges costumé.

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