Désirs et réalités...

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Pour les bûchers de l'inquisition, les ecclésiastiques bénéficient d'accès et de places protégés.

Mais, sauf à se rendre méconnaissables pour jouir incognito de cette excitation populaire si particulière, ils n'assistent pas aux exécutions civiles.

Dans les deux cas, ils évitent même de sortir dans Rome ces jours là.

Le risque d'être abordés, plus ou moins agressivement, pour une demande de grâce ou d'intercession, est trop important.

De toute façon, Le cardinal Bellarmino n'a que répulsion pour ce genre de spectacle !

Il n'a donc pas en mémoire l'image d'un enfant, sale, en larmes, souvent effondré, que des mains sadiques livraient à une torture irréaliste !


Devant lui se tient un jeune noble, à qui Alito a dû donner un coup de coude pour qu'il ôte sa toque.

Le cardinal Bellarmino, assis dans le fauteuil d'un bureau du Collège Romain, est mal à l'aise. Ordinairement, l'exercice du pouvoir à un haut niveau ne se préoccupe pas des péripéties quotidiennes qu'il engendre. Et là, face à Bernardo, qu'il regrette maintenant d'avoir voulu rencontrer, sa satisfaction du matin s'évapore doucement.

- "Il y a peu, vous étiez interrogés au Château Saint-Ange avec votre famille (bravo, belle entrée en matière Roberto...). Pendant que vos.... (encore mieux...). Alors que vous étiez seul à attendre, vous vous êtes retrouvé assis à côté d'un personnage, disons...assez étonnant. "

Le cardinal fixe Bernardo en soulevant les sourcils, comme s'il l'invitait à poursuivre son propos.

Pas de réaction.

- "Sans que je puisse décrire cette scène à laquelle je n'ai pas assisté, il semblerait qu'à un certain moment, ce personnage ait.... ri...très fort !"

Le cardinal termine les derniers mots en toussotant sur son poing fermé. Cela lui permet de poser un instant ses yeux ailleurs que sur le visage de son interlocuteur de plus en plus étonné... et de cacher la sensation de ridicule qui l'envahit.

Soudain Bernardo rougit, écarquille ses yeux et instinctivement se rapproche du bras d'Alito. Il bégaie ce qui semblent être des excuses :

- "mais, je ne... voulais pas... blasph... "

Il cherche ses mots et sa panique est visible. Sans comprendre, mais satisfait de reprendre la main plus aisément, le cardinal avance son torse et pose ses bras sur le bureau.

- "Ne vous méprenez pas, je ne vous interroge pas sur ce qui s'est passé. Je voulais juste vérifier que vous vous souveniez de cet homme. Asseyez vous et surtout, ne craignez rien. "

Le cardinal lance un regard à Alito qui déplace un fauteuil, du mur jusqu'au bureau, face au cardinal. Il pousse alors doucement Bernardo par les épaules et le fait asseoir.

- "Le pape, considérant votre jeunesse, et votre seule complicité non active dans les actes passés, vous a gracié. Il a commué la peine capitale, que ces actes vous réservaient, en enrôlement dans sa flotte navale."

Le savoir parler jésuitique revient au galop.

- "Pour ma part, je tente de sauver d'une...la vie de la personne avec laquelle vous avez échanger au château."

Le cardinal avait failli dire « d'une mort atroce », mais s'était repris à temps : ce qu'avait du voir le jeune homme, quelques heures plus tôt, tenait le haut dans l'échelle des atrocités...

- "J'ai peu de temps... très peu... Comme votre rencontre semble lui avoir momentanément rendu une certaine...joie, je souhaiterai prolonger ces échanges. Peut-être que cela le raviverait ! Je ne vous demande rien d'autre que lui parler et l'écouter quelques heures par jour. En contrepartie, votre enrôlement dans la flotte papale serait différée d'autant."

Maintenant, les mots viennent facilement, et les détails s'imposent d'eux-mêmes. Il décide de passer du conditionnel au futur.

- "Vous dormirez, ici, dans ce collège où je ferai mettre une chambre à votre disposition. Alito vous accompagnera sur les trajets au château, où le Frère apostat Bruno a été transféré dans une cellule individuelle. Ce transfert était programmé, afin qu'il puisse quitter les cellules pleines du Palais du Saint-Office et ne plus côtoyer les hérétiques qui vénèrent son... ancienneté ! Officiellement, vous serez, pour les gardes, son val... aide de camp et peut être assesseur pour les nombreux mémoires dont il nous gratifie !"

Bernardo reste pantois ! Il est vrai que le personnage rencontré au château était vraiment surprenant. Les longues minutes passées avec lui auraient probablement provoquées moult réflexions... s'il avait eu la capacité de réfléchir.

Mais les images des derniers jours et heures bousculent, dans sa tête, toute tentative de pensées logiques.

La peur s'occupe du reste du corps. Elle le fait sursauter régulièrement, dès que sa concentration se relâche.

Une seule question claire : où serait-il maintenant si Alito n'était pas venu le chercher ?

Il est impensable de retourner en cellule ! Tant qu'il peut éloigner ce risque, qu'importe le reste ? L'empourpré a manifestement le pouvoir nécessaire.

Le cardinal fixa de nouveau Bernardo.

- "Acceptez-vous ?"

Alors, Bernardo redevient l'ombre d'une seconde, Bernardo Cenci : fils d'un soldat hors pair, petit-fils et arrière petit fils de trésoriers du Vatican, descendant de croisés de la première heure et issu d'une des plus vieilles et plus riches familles romaines. Il s'approche également, et soutient le regard..

- "J'ai le choix ?"

Crepitus DeiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant