Le noble romain, dont le nom doit rester secret, marche machinalement.
Au lever du jour, le message d'un juge ayant été remis à la permanence de l'église Saint Jean le décollé, on l'a fait chercher.
Après avoir organisé le rappel de tous ses confrères, le noble romain, provéditeur de la confrérie de la Miséricorde, a prié.
Puis il a pris un sac pour y glisser bure et cagoule et est sorti discrètement de l'église.
Et, maintenant, il marche pensif.
Il passe devant les restes du temple de Janus, longe les murs extérieurs de l'oratoire de son église, puis, après une ou deux minutes, arrive au pont Rotto... qui a été balayé par l'incroyable crue de l'hiver dernier. La moitié du pont, encore debout côté rive droite, semble s'excuser.
Le confrère sourit : ce n'est pas la première fois qu'il débouche ainsi sur ce vide. Ses pas dirigent la marche par habitude, tant son esprit est toujours occupé.
Les eaux du Tibre sont basses, mais encore rapides et écumantes de leur compression par l'île San Barteloméo.
En aval du fleuve, à sa gauche, les restes des arches du pont Sublicius émergent.
Juste après, une petite armada de barques entoure une dizaine de navires, aux toiles triangulaires rabattues, groupée au centre du fleuve. Des porteurs remontent les marchandises sur les quais du Ripa Grande.
Ce va et vient désordonné se fait dans un tohu-bohu incessant. Les marins, rameurs et porteurs, s'invectivent de navires à barques, de barques à barques, et de barques à quais.
On se frôle, on se jauge, on s'insulte, on se promet des coups dès la terre retrouvée !
Cela finira dans la taverne devant des verres que l'on boira vite et que l'on posera bruyamment. Alors, dans les discussions redondantes mais toujours attendues, les risques de choc entre navires et entre barques se multiplieront, les caisses et tonneaux charriés seront plus lourds et instables, le vent et le courant feront des vagues sur le fleuve plus hautes qu'en mer.
Tout cela ramènera à une époque lointaine où le Tibre était, parait-il, couverts de bateaux, plus gros les uns que les autres, les quais de déchargements submergés de marchandises !
Époque où le port d'Ostie était encore dans la Méditerranée.
Époque où Rome avait quinze fois plus d'habitants.
Époque où les romains étaient marins.
Puis chacun repartira chez lui, pas dupe mais fier quand même.
Le noble romain, dont on doit taire le nom, repart sur sa droite, longe le Tibre puis juste avant la porte encore fermée du ghetto juif, traverse le pont Fabricius, le plus ancien de Rome. Il fait le signe de la croix, moitié par superstition et moitié par conviction religieuse, car ce pont a été construit avant la sainte naissance de Jésus-Christ !
Il traverse l'île de Saint Bartoloméo puis le pont Cestius et reprend la berge du Tibre mais sur l'autre rive.
Le calme règne pour le moment, mais bientôt, les bateau-moulins installés dans ce bras du fleuve, feront tourner leurs roues à aubes , et le bruit des meules, ponceuses et scies deviendra insupportable.
Rome se réveille mollement, paresseusement.
En ces mois d'été, seuls ceux qui n'ont pas les moyens de vivre dans «les hauts» s'activent le matin, redoutant ensuite les myriades de moustiques.
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Crepitus Dei
HistoryczneRome-1600 ! Un adolescent témoin de l'exécution de sa famille et condamné aux galères, un homme au sombre et discret passé transformé en ange gardien, un peintre caractériel brûlant sa courte vie au rythme de son génie innovant, une courtisane...