Rue des Carrosses, juste en dessous de la place du mont de la Trinité, un va et vient incessant d'hommes excités hésite entre la taverne del Moro et l'échoppe du barbier.
Des gardiens des deux prisons se font payer à boire pour ressasser les faits du jour et quand est racontée la prestation du barbier-chirurgien sur la belle Béatrice, un silence rêveur écoute...
Mais le mieux ne serait-il pas d'avoir la version originale puisque le barbier est en face ?
Michelangelo Merisi, Orazio Gentileschi et la fille de ce dernier, Artémisia, ont assisté aux supplices. Après s'être défait de la jeune fille, les deux amis ont décidé d'en savoir plus et sont donc venus à la taverne, un des meilleurs endroits pour ce faire.
Michelangelo, dit Le Caravage, est un homme impatient et un peu sanguin. Les détails, pour un peintre cherchant son inspiration et sa motivation dans le naturel du quotidien, sont primordiaux. Ceux fournis par les gardes semblent de moins en moins crédibles.
Il se lève, traverse la rue en trois enjambées, bouscule le petit groupe de curieux devant l'échoppe, attrape le barbier, laisse en plan le quidam en cours de rasage, et retraverse le petit espace en traînant l'homme de l'art avec son rasoir dans la main et son chiffon sur le bras.
Dans la taverne, il tire un col, renverse son propriétaire, et, à la place libérée, assoie le barbier.
Le voisin laisse la place libre avec empressement et Le Caravage enjambe le banc à son tour.
Deux pots de bière arrivent comme par miracle.
On boit, on rote, on cherche le meilleur confort pour ses fesses sur le bois et on attend...
Le barbier jauge le public, essuie la lame sur le chiffon, replie son rasoir, boit, tousse et le chirurgien raconte en commençant, au dépit de certains, par la Tor di nona !
Dans une petite pièce attenante, Alito et Bernardo ont cassé la croûte d'une tourte et dégustent les morceaux de viandes qui ont cuit à l'intérieur.
Ils essuient de temps en temps leurs doigts graisseux sur le tissu qui tient lieu de nappe, puis les replongent dans la pâte dure encore chaude.
Bernardo est méconnaissable.
Ses cheveux, resserrés, dépassent à peine d'une toque en velours, posée de biais et ornée d'une petite plume blanche. Un gilet cintré aux couleurs chatoyantes, sans manches, recouvre une chemise ample d'un bleu sombre.
Alito est passé au Palais Cenci dans la matinée et sa force de persuasion, ainsi que quelques pièces, ont convaincu le personnel toujours en place de lui remettre des effets propres, qu'il avait déposés dans sa chambre, proche de la Place du Peuple.
Il aurait préféré quelque chose de moins voyant, mais bon... au moins, la beauté du jeune homme attire maintenant plus les appétits féminins que les instincts maternels.
Mais, si, physiquement, le pauvre enfant de l'échafaud s'est estompé dans le jeune homme de bonne famille, Bernardo n'en continue pas moins à passer du mutisme le plus cadenassé à d'exubérantes séries de questions auxquelles Alito ne peut répondre.
Parfois les assauts intérieurs s'extériorisent en gestes désordonnées inconscients.
Alito est alors partagé entre déplier un bras protecteur et son souhait d'éviter que leur probable rapide séparation ne cause une déchirure supplémentaire.

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Crepitus Dei
Ficción históricaRome-1600 ! Un adolescent témoin de l'exécution de sa famille et condamné aux galères, un homme au sombre et discret passé transformé en ange gardien, un peintre caractériel brûlant sa courte vie au rythme de son génie innovant, une courtisane...