Rome, Mardi 14 septembre 1599
Après deux jours totalement dévoués à la collectivité, comme pour retarder l'inexorable, Frère Stefano, les yeux grands ouverts, a passé sa dernière nuit de cellule, à revoir et revivre l'entretien avec son Général.
Une fièvre sourde l'enferme maintenant tout entier dans son crane. Les mots et images y résonnent.
Depuis son plus jeune âge, il a toujours agit en fonction des ordres reçus et règles établies, tentant juste parfois d'anticiper l'attente de ses supérieurs.
Dans ce couvent, la vie s'écoule sans heurts graves, tant que chacun mange, prie et dort à sa place, dans le respect d'un rituel scrupuleusement répété chaque jour.
Bien sûr il sort, vaque, parcours sa vie dans la ville.
Mais, chaque soir, cette église, ces murs, ce parc, ces bâtiments, l'aspirent, le sécurisent tel un... ventre maternel.
Bien sûr, les frères s'épient, se jalousent, se font des mauvais coups.
Mais dans le silence feutré d'une hypocrisie bien prégnante.
L'ordre reçu l'avant veille, qui nécessite une autonomie solitaire constante et une vraie capacité d'initiatives, induit donc une rupture trop radicale, trop inattendue !
Enfin, le jour se lève.
Une cloche sonne.
Radicale peut-être, mais une rupture !
N'y a t-il pas là une occasion incroyable de servir son ambition ?
Ne se sent-il pas, au fonds de lui-même, depuis toujours appelé à de grandes choses ?
Le chemin proposé est certes tortueux, mais... si c'était le sien ?
Frère Stefano n'ira pas à laudes (1).
Il se lève, verse un peu d'eau du broc dans une cuvette, et du creux de la paume, se rince le visage.
Une impression surprenante de puissance chasse peu à peu la panique fiévreuse.
Une étrange idée, dans la suite de celle symbolisant la sécurité des lieux : il renait.
Un glissement d'étoffes se répand dans le couloir.
Il ouvre un baluchon rapiécé, revêt les habits et se couvre d'un chapeau, le tout pris la veille dans la buanderie. Il dissimule la bourse dans sa large ceinture d'étoffe.
Ses poumons se vident, puis se remplissent d'air neuf.
Il sort.
Droit, fier, le regard loin.
Un frisson délicieux le parcours, à la mesure du chaos qu'il provoque dans les rangs sages des têtes encapuchonnées.
Une fois passé le portail, les questions concrètes s'amusent à saper ce sentiment de puissance si agréable.
En descendant la colline, entre la haie d'arbres qui déroule une vue imprenable sur le large stade antique, bien identifiable de cet hauteur, il tente de prioriser les besoins immédiats.
Trouver un logement... cacher la bourse ... remplacer ces vêtements de jardinier... puis... puis...
"Des noms, Stefano... des noms !"
Oui, mais comment ?
Pour rapporter des noms, encore faut-il pouvoir les entendre... De qui ? Où ?
Compte tenu des ses premiers déboires, mieux vaut éviter de se faire remarquer.
Donc, le mieux sera de commencer dans des lieux très fréquentés où, par exemple, collecter quelques ragots.
Plusieurs lieux possibles s'imposent alors : la place devant le Panthéon, celle du pont menant au château Saint Ange, celle, toujours animée, de la Trinité, qu'il a traversée avant-hier matin à deux reprises.
Ah, le Capitole ! Sa belle place, bien sur, mais aussi son escalier sur lequel nombre d'oisifs ou de visiteurs se regroupent.
Il y arrive justement, après avoir longé les colonnes et les ruines des anciens temples païens.
Il emprunte la ruelle qui serpente et monte jusqu'à l'arrière de la place, débouche devant la statue équestre du premier empereur chrétien, Constantin (2) et, malgré l'heure matinale, remarque déjà assis dans l'escalier, qu'il domine maintenant, une petite foule. Nombreux sont ceux qui ont dû y dormir sur ses marches bien larges.
Une petite halte serait la bienvenue.
Il y a si longtemps, que Fra Stefano, pardon, Stefano ne s'est pas assis, comme ça, par terre, entouré d'inconnus. Personne ne fait attention à lui.
Il sort le quignon de pain et le morceau de fromage qu'il a ramassés au réfectoire vide.
Les premiers rayons de soleil s'engouffrent entre les bâtiments et le réchauffent.
La journée commence bien.
Derrière lui, des cri intimant de s'écarter résonnent dans la ruelle qu'il a empruntée plus tôt. Deux chaises fermées, finement ouvragées, apparaissent alors côte à côte. Les porteurs s'arrêtent sur le petit belvédère qui domine le Campo Vaccino (3) et ses ruines.
Deux femmes descendent, l'une aidée par le valet qui accompagne la petite troupe. La tête basse, elles disparaissent dans la petite rue, devant le couvent des franciscains.
(1) Office de prières du matin.
(2) La personnification du cavalier a été remise en cause depuis. On penche plus aujourd'hui pour Marc-Aurèle.
(3) Grande étendue entre le Capitole et le Colisée, jonchée des ruines du forum romain antique, sur laquelle on faisait paître les animaux, d'où son nom de "champ des vaches".
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Crepitus Dei
Fiksi SejarahRome-1600 ! Un adolescent témoin de l'exécution de sa famille et condamné aux galères, un homme au sombre et discret passé transformé en ange gardien, un peintre caractériel brûlant sa courte vie au rythme de son génie innovant, une courtisane...