Esoteros

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Manon lui avait encore fourni un colossal et méticuleux travail préparatoire.

Guisseppe Alboro est fier de lui. Sa peur d'une visite de la police papale s'estompant au fil des heures, il peut se laisser aller à une bien savoureuse autosatisfaction.

Le séance, il n'ose encore dire cérémonie, de dimanche soir fût un grand succès.

Quelle frustration cependant de ne pouvoir publiquement revendiquer la paternité d'une telle réussite. Son intelligence, son esprit d'analyse, sa qualité d'écriture, son éclectisme ont encore brillé.

Quel dépit de ne pas profiter de ce pouvoir que toutes ses qualités lui offrent. Il a bien senti que les spectateurs avaient eu du mal à revenir au réel et qu'il leur manquait quelque chose ou, plus exactement, quelqu'un. Quelqu'un à applaudir, à féliciter, à... suivre !

Ah, s'il avait le cran de s'avancer sur la scène. Juste se montrer, sans rien dire. Écarter les bras, bomber le torse, sourire avec des petits hochements de têtes, dans cette posture de celui qui sait, et qui, faussement modeste dans ses révérences de remerciements, accepte l'ovation comme reconnaissance de sa supériorité.

Dix fois, cent fois, il a fantasmé ces moments. Il jouit alors de ses bouffées de plaisirs qui envahissent tout son corps et pétillent dans son cerveau.

Guissepe Albero est lâche, il le sait. Et cela, en fait, ne le gène aucunement. Il y a tant à faire, tant à prendre, tant à jouir. Allez ! Profiter de la crédulité humaine nourrit déjà bien la volupté de son quotidien !

Il est différent. Il pense différent. Il respire différent.

Élite !

Pas une élite par la naissance, par la richesse ou la gloire militaire... Non, l'élite que la nature a pourvu de la capacité à dominer par l'esprit.

Il est un peu fainéant aussi. Toute famille romaine respectable ignore le verbe travailler ! Alors on délègue, on fait confiance, parfois à tort.

Ah! ces livres rares commandés qui s'amoncellent, et qu'il a à peine lu !

Mais il a sa méthode. Délaissant à sa belle-fille les traductions,  recherches, analyses, il picore ensuite dans les fiches de lectures qu'elle rédige, le sensationnel intime, le secret, l'interdit, la magie excitante et la superstition rassurante, tout ce qui rend les gens suspendus à votre parole, puis dépendants.

Quand il a glané suffisamment, son imagination peut mettre en scène ! Un peu de Gnose ici, une pincée de Kabale et d'alchimie là et, nec plus ultra, bien arroser d'érotisme !


Manon est si belle... Quel dommage que... Mais bon, il a réussi à la dévoyer suffisamment pour qu'elle donne bien efficacement de sa personne.

Guissepe se lève, croise soigneusement les pans de son peignoir et serre la ceinture. Mais pourquoi n'a t-il pas de nouvelles de Sylphide ?  Elle aurait dû parvenir à ces fins maintenant avec Artémisia. Il la veut cette jeune peintre. Il la veut. Et vite, avant que ne flanche sa résolution vis à vis de sa belle fille.

Car,  ce qui compte avant tout pour Guissepe Alboro, ce sont les femmes.

Soumettre plus que séduire, pervertir plus que conquérir !

Ce moment si particulier où la volonté chancelle, où le refus est moins sûr, où la rougeur colore la gorge, où le souffle s'inquiète ! Violer l'esprit pour mieux profiter du butin charnel !

Ni l'argent, ni la gloire ne sauraient offrir ces secondes qui, à elles seules, justifieraient l'existence de Guissepe Alboro !





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