- « Alors Moine tout va bien ? »
Le Général des Dominicains s'essouffle de rire en répétant l'aveu.
Il a peu de possibilités de rire, Ippolito Maria Béccaria, vraiment peu ! Sa santé fragile a été sacrifiée au service de l'Ordre et il sait que le temps lui est compté. Et il reste tant à faire, à défendre !
- "Vous me plaisez, mon Frère. Votre franchise vous honore et je n'ai pas ri depuis des lustres : «Alors Moine tout va bien ?»"
"C'est reparti", se dit Frère Stefano, en même temps heureux que son Général le prenne ainsi. Il avait préparé tout un scénario pour garder son honneur sauf, mais assis devant son supérieur, sa volonté avait déserté et les mots en profitaient lâchement pour sortir.
- "Allez, ne vous en faites pas, vous croyiez vraiment réussir dès la première fois ? De mon côté, j'ai pu obtenir les informations qui nous manquaient ce matin. Le cardinal Bellarmino a obtenu un report du départ du jeune Cenci aux galères. D'après ce que j'ai compris, le but serait que ce dernier arrive à mettre le frère Bruno en confiance, pour, probablement, obtenir enfin résipiscence de ses hérésies. Pourquoi, comment, je n'en sais rien mais la probabilité de réussite est ridicule de toute façon !
Tout cela m'indiffèrerait si je n'avais hâte que ce traitre à notre ordre ne disparaisse enfin et qu'on l'oublie, lui et ses hérésies ridicules.
Non, celui qui m'intéresse, c'est cet Alito... Alors, moine, tout.. Pardon !
Je sens qu'il y a là un fil intéressant à tirer pour tenter d'obtenir un moyen de pression sur le cardinal.
Vous m'avez rapporté qu'il détestait notre ordre, pour, si je me souviens bien : l'avoir vu à l'œuvre dans différents pays. Au vu de cet accent sur lequel vous insistez beaucoup, on peut donc penser qu'il a eu à souffrir directement ou indirectement de notre sainte mission, en Espagne, peut-être même aux Amériques... Comme il est manifestement à demeure à Rome, je vais tenter d'en savoir plus sur lui, sans que vous ayez besoin de le surveiller..."
Frère Stefano, confus, commence à se lever, mais d'un geste autoritaire, Béccaria le fait rasseoir.
- "Fi de ces enfantillages qui nous font perdre tant de temps ! Mon frère, j'ai besoin d'hommes comme vous, en qui je peux placer ma confiance, pour des missions bien plus sérieuses... "
Tout en ayant préféré que ce fut autrement que grâce a sa franchise presque enfantine, Frère Stefano jouit du compliment.
- "Ce que je vais vous révéler maintenant ne doit pas sortir de ces murs. "
Le regard du Général a perdu toute trace d'amusement.
La force intérieure de cet homme, pourtant usé, transperce Frère Stefano, et une menace non-dite, mais palpable, élimine tout le plaisir. Puis, l'étincelle noire s'efface des yeux... y a t-elle réellement été ?
- "Notre ordre, et ses frères qui vénèrent la Vérité, se sacrifient. On nous désigne comme des hommes rustres, inhumains voire sadiques et sanguinaires !
Mais sans notre action, sans notre sacrifice, que resterait-il aujourd'hui de notre Sainte Église ? Qui nous maintiendrait dans l'amour exigeant mais si pur de Dieu, du Christ et de la Vierge bien aimée !
Cette époque ne respecte plus rien ! Les jeunes se croient tout permis, se moquent de leurs aînés et de leur sagesse, et fuient le travail ! Les soi-disant érudits remettent en cause les écritures saintes et donc la parole même de Dieu !
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Crepitus Dei
Fiction HistoriqueRome-1600 ! Un adolescent témoin de l'exécution de sa famille et condamné aux galères, un homme au sombre et discret passé transformé en ange gardien, un peintre caractériel brûlant sa courte vie au rythme de son génie innovant, une courtisane...