17. De la chaleur et un câlin.

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17.

    -Le but est en faire de me rendre ivre, avoue-le, dis-je en le regardant me resservir à nouveau entre deux éclats de rire.

    -J'aime simplement te voir, comme ça...

    -Comme ça ?

    -Oui, rire, sourire... Tu as les yeux qui pétillent lorsque tu es heureuse...

  Je lève les yeux, mise à nue, et me sens un peu rougir. Les flammes des bougies dansent dans ses yeux, alors que la nuit peu à peu tombent autour de nous en nous laissant dans une bulle intemporelle.

  Et alors qu'il fuit un peu mon regard, je sens toutes ces questions qui brûlent ses lèvres et qu'il retient pour ne pas ternir cette soirée magique.

  Pourtant, je sais que tant que les choses n'auront pas été dites, nous ne pourrons pas réellement affronter ce qui nous attend sereinement...

  Je joue un instant avec le liquide rougeâtre dans mon verre à pied, le regardant recouvrir les côtés de la sphère transparente d'un délicat film clair, puis prends mon courage à deux mains.

    -J'ai passé toute ma vie à me consacrer à mon travail, commençais-je. C'était tout ce qui guidé mon quotidien, chacun de mes choix... Tout était relié à ça, d'une façon ou d'une autre.

  Je le sens face à moi brusquement se refroidir, perdant un peu son sourire pour déglutir, les yeux perdus dans le vide et la noirceur de mon passé.

    -Charline, tu n'es pas obligée...

   -Si, je le suis. Tu as le droit de savoir. Une fois pour toute. Et après nous n'en parlerons plus, ok ?...

  Il lève ses yeux tristes vers moi, serrant la mâchoire, et prononce le seul mot que définitivement nous savons dire dans ces instants sombres.

    -Ok...

  Je reprends une grande inspiration, puis une gorgée de vin et quitte ses yeux pour me replonger dans mes souvenirs.

    -J'avais un métier que j'aimais passionnément, vraiment... J'ai sauvé des vies, j'ai accompagné des gens dans la rémission... Mais j'ai aussi dû annoncer des choses horribles, des cas désespérés, j'ai du regarder en face des familles pour leur dire qu'il n'y avait plus d'espoir et les voir s'effondrer...

  David ne bouge plus. Je sens son regard sur moi, mais je refuse d'appuyer mes mots au travers de mes yeux qui se repassent le film de ses instants pénibles.

    -Alors, quand j'ai eu les premiers symptômes, d'abord, j'ai souris de l'ironie de la situation. Je me suis dit que d'une certaine façon, le destin se vengeait que je me sois ainsi prise pour Dieu, à jouer avec la vie et la mort... Et puis, ma vie était bien trop prenante pour que je n'accorde d'attention à ces petites choses que je mettais sur le compte de la fatigue.

  Il se redresse dans sa chaise, posant son dos contre le dossier et jouant avec le bord de son assiette. J'imagine qu'il ne peut pas comprendre, mais j'espère que tout cela lui permettra d'y voir plus clair.

    -Et quand le verdict est tombé, bien sûr j'ai compris que les chances étaient limitées...

    -Mais même si les chances étaient minces, cela ne valait pas le coup d'essayer ?, murmure-t-il enfin.

    -David, l'avantage a être moi-même dans le corps médical, c'est que je n'ai pas de barrière, pas de politesses, ou de phrases joliment tournées pour m'éviter le choc de la vérité... Et quand tu te retrouves face à ça, tu passes par plusieurs phases... C'était juste atroce de me voir vivre à mon tour ce que je trouvais chaque jour dans mon métier. C'est comme cette succession de phase était écrite, et que même si je les connaissais, même si je pouvais d'avance me dire quelles allaient être mes réactions suivantes, je ne pouvais pas les éviter. Alors oui, j'ai été en colère. Oui j'ai été dépressive, et puis à un moment il a fallu accepter...

A côté du papillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant