Après l'inattendue demande de Dahmer, j'avais pris l'initiative de poser deux semaines de congés. De toutes manières je l'aurais quand même fait, l'hôpital me massacrais le moral à ce moment. Non pas à cause de mon métier ou de mes patients, mais vraiment de l'atmosphère générale. Le personnel soignant complètement découragé, fuyant l'établissement à tour de rôle, la direction qui ne faisait plus aucun effort, le matériel obsolète, les patients déambulants dans les couloirs de manière anarchique. Bref, j'avais réellement besoin de sortir de tout ça.
J'étais excitée à l'idée de voir un film par la pensée avec Jeffrey ! C'était comme si je plongeais dans l'esprit d'un des personnages les plus intriguant d'une l'histoire criminelle.
Je n'avais plus envie de penser, de me questionner sur ma façon d'agir ou de ressentir. J'avais simplement envie de vivre mes émotions même si elles allaient à contre courant de la morale.
Après m'être préparée et rendue au centre ville de Chicago, j'observais les films à l'affiche. Je voulais certes en regarder un mais pas n'importe lequel, un film susceptible de plaire également à Jeff.
Au programme: Sister Act, Batman return, Alien 3 avaient retenu mon attention.
Choix difficile, mon cœur balançait entre le légèreté de Sister Act, la romance et la justice de Batman return et l'ambiance sombre et pesante d'Alien 3. Bon ! C'est parti pour plonger dans les nuits mornes de Gotham City aux côtés de Bruce Wayne ! Puis un peu de justice ne peu pas faire de mal.
Au guichet un jeune employé coiffé d'une casquette portant le logo de l'enseigne aplatissant sa chevelure rousse et magnifiquement bouclée s'adressait à moi:- Bonjour Madame, un ticket pour ?
- Batman Return s'il vous plait ! Et ça sera deux tickets en réalité.
Dans l'incompréhension, le rouquin jetait un regard curieux par dessus mon épaule, étonné de voir que personne ne m'accompagnais.
- Je, j'adore ce film voyez-vous, je contribue à son succès au box office à ma façon, éludais-je alors avec humour.
Installée dans la salle de cinéma, j'observais les personnes présentes autour de moi. Devant mon siège, un jeune couple se caressaient le museau aux manières félines. Je doute qu'ils portaient un quelconque intérêt au choix du film, se préoccupant d'avantage de trouver un endroit un peu plus intime que chez leurs parents respectifs.
Derrière moi, légèrement à ma gauche, un homme d'une trentaine d'années environs, dégarni sur le dessus du crâne et plutôt bien portant endimanché d'un T-shirt Star Wars, le retour du Jedi. Il dévorait goulument ses deux boites de Pop Corn XXL tout en aspirant son soda sans même avoir pris le temps d'avaler ce qu'il avait en bouche. C'était plutôt marrant à voir ! Il représentait à lui tout seul le cliché du nerd passionné par la science fiction et les super héros.
Après quelques pub, la salle avait plongé dans le noir le plus complet avant de voir apparaitre les premières images du film. C'est au milieu d'un ciel bleu parsemé de nuage qu'il apparaissait, comme d'habitude, puis, la musique se lançait. Une couleur noire s'emparait de l'écran, embrassant le "W" du logo bien connu.
***
Voilà deux heures et six minutes qui me parurent passer à la vitesse de l'éclair. La lumière prit place, chassant instantanément l'obscurité et éclairant les spectateurs qui commençaient à quitter tour à tour leur place. Dans un petit mouvement naturel, je tournai alors ma tête vers le siège à ma gauche, imaginant qu'il était occupé.
« Alors Jeffrey, avez-vous apprécié ? » murmurais je timidement. Je demeurais quelques minutes assise, le regard fixé sur ce siège vide, tentant de visualiser le blondinet qui aurait dû se trouver à mes côtés. Après avoir repris mes esprits, je quittai à mon tour cette séance de cinéma des plus spéciales.
Dahmer avait raison: ce petit moment en tête-à-tête avec moi-même, bien que j'eus l'impression d'être accompagnée, me fit le plus grand bien ! Il y avait fort longtemps que je ne m'étais accordé un instant pour flâner et m'adonner à autre chose que le travail et les échanges avec la caissière de mon supermarché.
Je devais avouer que ce film me marqua profondément. Dès les premières minutes, je fus captivée par l'intrigue et les personnages. L'histoire était si bien construite, chaque scène apportait quelque chose de nouveau et d'inattendu. Les acteurs furent incroyables, ils surent donner vie à leurs rôles avec une telle authenticité que j'avais l'impression de vivre leurs émotions à leurs côtés.
La réalisation fut tout simplement magnifique. Les plans furent superbement choisis, et la musique d'accompagnement ajouta une dimension supplémentaire à chaque moment clé du film. J'avais été transportée dans un autre monde, oubliant totalement le temps qui passait.J'avais qu'une seule hâte, raconter tout cela à Jeff !
***
Je m'étais installée alors dans ma cuisine, m'armant de mon joli stylo plume et de mon papier à lettres. C'était une grande occasion, et je réservais l'usage de ma plume aux moments vraiment spéciaux. Je bouillonnais d'impatience à l'idée de lui écrire, mais plus encore, je brûlais d'envie de recevoir sa réponse !
"Bonjour Jeff,
Comme promis, je suis allée au cinéma ! J'ai choisi Batman Returns, j'espère que ça vous plaira.
Ma lettre s'était étirée au fil des détails que j'essayais d'apporter sur le film afin que Dahmer puisse le visualiser parfaitement. Je voulais qu'il puisse vivre ce moment le plus précisément possible, et j'avais investi toute l'énergie présente en moi pour rendre cette expérience aussi réelle que possible. Je m'étais replongée dans de vieux souvenirs de cours de littérature pour tourner mes phrases avec justesse. Utilisant un vocabulaire clair, parsemé de nombreuses figures de style, d'images et de métaphores pour exprimer mes émotions. Mon désir de communiquer sans retenue toutes mes impressions était si fort que je ne voulais en aucun cas me tromper. C'était notre accord : en échange de bons moments, je devais lui livrer mes impressions les plus brutes.
À la fin de la séance, je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'ai tourné la tête vers ma gauche. Je me suis imaginée là, assise à vos côtés à partager ce moment. N'est-ce pas étrange pour un psy de s'imaginer regarder un film aux côtés d'un tueur en série ? Mais sachez que lorsque je vous ai projeté sur ce siège, à côté de moi, je vous ai vu comme un homme, simplement un homme, et non comme un tueur.
J'ai beaucoup apprécié ce moment en "votre compagnie". C'est la première fois que je fais quelque chose comme ça, et votre présence spirituelle m'a énormément aidé à apprécier ma solitude. Mais je ne vous cache pas que j'aurais sincèrement aimé partager cette séance avec vous, Jeff.
D'ailleurs, c'est plutôt drôle, le vendeur au guichet a dû me prendre pour une folle lorsque je lui ai demandé deux entrées ! Je me voyais mal lui dire que j'étais accompagnée par la pensée du tristement célèbre Jeffrey Dahmer ! Quoi que, rien que pour le plaisir de voir sa tête, j'aurais dû le faire !
Merci de m'avoir donné cette idée. Grâce à vous, je retrouve le plaisir de sortir et de réapprécier des moments simples comme aller voir un film. Vous auriez certainement fait un bon psy dans une autre vie !
Sachez que j'attends patiemment de recevoir votre courrier, Jeff.
Bien à vous, Annie."
Avec la lettre soigneusement pliée dans l'enveloppe, accompagnée du petit billet de cinéma, je me hâtai de me glisser dans mon lit, impatiente de partager rapidement le récit de ma journée.
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Cher Dahmer
General FictionAnnie Keller, une jeune psychiatre de 30 ans, décide de relever le défi audacieux d'écrire des lettres au tristement célèbre Jeffrey Dahmer en prison. Ce qu'elle pensait être une simple étude de la psychologie tourmentée d'un tueur va finalement se...