Chapitre 21 - Je t'aime, moi non plus.

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Juillet 1994, deux ans plus tard,

Je regardais cette inconnue qui me fixait également. Ce reflet, que je connaissais depuis plus de trente ans, me semblait pourtant étranger. Je n'osais pas compter les mois de mensonges, les mois de comédie où j'avais pris le rôle principal et que je jouais à la perfection. Que l'on me donne un Oscar ! En réalité, j'avais honte. Honte d'avoir menti à un homme aussi merveilleux qui me faisait confiance jour après jour.

Je continuais de me dévisager, les yeux cernés d'un violet aussi sombre que mes nuits passées à noircir mes lettres clandestines. Assise face au reflet que la vitre me renvoyait, j'attendais, larmoyante et effrayée. C'est à ce moment-là que ma vie allait probablement changer à jamais. Tu y es, Annie, il n'y a plus de retour en arrière possible. De toute façon, je n'en avais pas envie.

Mes tripes se tordaient dans tous les sens, comme si elles cherchaient à m'étrangler de l'intérieur. Mes mains transpiraient déjà, victimes de la chaleur étouffante de la pièce. Je tremblais de la tête aux pieds, mais il était hors de question de me laisser submerger par la panique. J'étais déterminée, plus que jamais.

***

15h plus tôt.

- Tu es prête, Annie ? Amanda nous attend.
- Oui, j'arrive !

J'ajustais ma frange éternellement indisciplinée, refusant de se plier aux courbes de mon visage et préférant se rebeller en d'étranges boucles.

Dans la voiture, seul le ronronnement du moteur osait rompre le silence. Mon esprit était encore absorbé par mes lettres, mes yeux parcourant mot après mot les confessions de Dahmer.
- Vous êtes incroyablement belle, madame Keller, lorsque vous êtes rêveuse.
Je tournais la tête, légèrement surprise, vers Chad.
- Oh ! Sacrément rêveuse même. Je vois tes pensées se dissiper dans tes yeux. Tout va bien ?
Je m'adossais contre le siège, posant ma main sur sa cuisse.
- Oui, ne t'inquiète pas. Juste un peu fatiguée par cette chaleur.
- Je peux te retirer quelques vêtements pour apaiser tes souffrances, tu sais, lança-t-il d'un air taquin.
- T'es pas possible, toi. Allez, concentre-toi sur la route, démon, j'aimerais arriver en un seul morceau.
- À vos ordres, mon capitaine !

Nous pénétrions dans le bar où Amanda nous avait donné rendez-vous. L'ambiance y était festive. La télévision accrochée derrière le comptoir hurlait l'euphorie d'un match de baseball, accompagnée par quelques supporters locaux accoudés, une bière à la main.
La musique tentait de se frayer un chemin à travers le brouhaha omniprésent dans la pièce. Je parvenais à peine à distinguer un des titres de Ten Years After. Comme à son habitude, Amanda était déjà là, nous attendant.

- Comment vont mes tourtereaux préférés ?
- Merveilleusement bien ! répondit Chad avec enthousiasme, prenant place sur un haut tabouret.
Je m'exécutai à mon tour, mais je restai silencieuse à la question de mon amie, qui comprit en un seul regard mon état d'esprit actuel.
- Bon ! Je paie ma tournée ! J'ai quelque chose à vous annoncer !
- Oh ! Une nouvelle ? Ne nous dis pas que tu as rencontré quelqu'un ?
- Que tu peux être sotte quand tu t'y mets ! Mais non, Annie... j'ai... eu une promotion !
- Wow, félicitations Amanda !
- Oui ! Félicitations ma belle ! Depuis le temps que tu souhaitais l'obtenir. Ton acharnement et ton travail ont fini par payer !
- Merci, merci beaucoup cher public ! imita-t-elle à la manière d'Elvis Presley à Las Vegas.
Amanda quitta la table pour nous commander de quoi trinquer ensemble. Je restai là avec Chad, qui déposa sa main sur la mienne.
- Je vous aime, Madame Keller.

Comme à mon habitude, j'éludai la réponse par un léger sourire, me contentant de l'observer bêtement, incapable de lui donner une réponse. Jamais il ne m'a reproché de ne pas lui répondre, comme si pour lui le simple fait de m'aimer était suffisant. J'éprouvais cependant un certain malaise de ne pas lui dire que moi aussi. En vérité, je culpabilisais de ne pas ressentir la même chose que lui à son égard. J'avais pourtant conscience de la chance que j'avais d'avoir un homme comme lui. Je me sentais comme une enfant gâtée, insatisfaite de ce qu'elle possédait.

Cher DahmerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant