Chapitre 20 - Mea Culpa

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"Bonjour Jeff,

Cela fait longtemps.

Excuse-moi, je ne sais pas vraiment comment débuter cette lettre. J'ai honte de t'avoir laissé. J'ai honte de revenir de cette manière, donc je ne te demande pas de me pardonner... Je sais que cela ne changera rien, mais sache que durant tous ces mois passés, tu occupais mes pensées. Pas une seule journée n'a été dépourvue de ta présence dans mon esprit. Tu ne m'as pas quitté un seul instant, malgré mes efforts pour tenter de chasser ton image de ma tête.

J'ai vainement essayé, par tous les moyens possibles. Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il m'arrive, je n'arrive pas à comprendre pourquoi je...

- Oula Annie, tu vas trop loin, me suis-je arrêtée, pensant à haute voix.

Assise seule à la table ronde de ma cuisine, je grattais le papier. C'est incroyable comme ce geste m'avait manqué. Incroyable comme lui écrire me libèrais d'une boule étouffante nouée dans mon estomac. Cette sensation, je ne la ressentais qu'en écrivant à Dahmer. Comme si ce petit rituel intime, secret, caché des regards, était mon exutoire.

Il y a tellement de choses que j'aimerais pouvoir te dire, si tu savais...

Mais parle-moi de toi. Je t'en supplie, dis-moi que tout va bien, dis-moi que tu vas bien. J'ai besoin de savoir comment tu te sens au plus profond de toi, j'ai besoin d'être rassurée, je me sens terriblement mal, si tu savais. Jeffrey... je sais que récemment cela n'en avait pas l'air, mais je tiens à toi.

Réponds-moi, s'il te plaît.

Annie."

Sans perdre de temps, je me dirigeais vers la boîte aux lettres pour y déposer mon précieux message, celui qui contenait mes espoirs pour l'avenir. Mon impatience croissante rendait l'attente insupportable.
Je lui accorde une semaine. Si je n'ai pas de réponse d'ici là, je me rends à Portage pour le rencontrer, je me le promets ! Je m'étais juré cela.

Au fond de moi, au-delà de mon impatience, j'espérais recevoir sa réponse avant le retour de Chad. Même si nous ne partagions pas le même toit, nous passions beaucoup de temps ensemble chez moi. Cette correspondance, c'était la mienne, la nôtre, et même si cela pouvait sembler égoïste, je ne voulais la partager avec personne.

Je me sentais légèrement coupable de lui mentir. Je savais en toute conscience que mes échanges avec Dahmer étaient une source d'inconfort, voire de souffrance pour lui. J'espérais qu'avec le temps, il comprendrait. Qu'il comprendrait que j'avais besoin de ça, de cette correspondance, de ce lien. Malgré tout le bon sens du monde, Jeff était mon ami.

Ce jour là, je me rendais au cabinet sans entrain. Le froid intense de cette journée maussade de Novembre pénétrait jusqu'à mes os. En m'approchant du grand bâtiment, témoignage du poids des années, je m'arrêtai un instant au milieu du parking, les yeux clos. Perdu dans mes pensées, je me souciais à peine de la morsure glaciale de l'air sur mon visage. J'ouvris les yeux, momentanément ébloui par la luminosité agressive du ciel d'un blanc immaculé. Je respirai profondément l'air peu accueillant de la ville avant d'en expirer un mince filet de fumée laiteuse, puis repris ma marche vers mon bureau.

- Salut Doc, comment ça va ?
- Hey ! Salut, bandit ! Oh, tu sais, pas au top avec ce froid. D'ailleurs, j'ai réécrit à Dahmer et j'ai posté ma lettre ce matin.
- Non ! Sans déc ! S'exclama t'il enjoué. Bah c'est super ça, ça devrait vous réjouir non ?
- Bah oui et non. Je craint sa réaction qui risque d'être sacrément sèche si réponse il y a, puis... Chad n'est pas au courant... Il va surement très mal le prendre si il l'apprend.
- Ah ouais...j'oubliais ce détail.
- Faut que je lui en parle, mais seulement après la réponse de Jeff.
- Je pense que c'est la meilleure des solutions. Qu'avez vous dit à Jeff ?
- J'ai fait ma Mea Culpa. Idiote que je suis. Comme si ça excusait mon comportement.
- Je vous trouve dure Annie. Avec ce qu'il a commis vous pensez sincèrement qu'il va vous en tenir rigueur ?

Cher DahmerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant