Chapitre 15 - Je me condamne à toutes les peines.

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Deux mois. Deux mois déjà s'étaient écoulés depuis que cette maudite lettre avait été envoyée à Dahmer. Deux mois sans réponse, comme je le lui avais demandé et qu'il avait scrupuleusement respecté. Comme si, en fin de compte, cela lui était facile. Du moins, c'est ce que je voulais croire. Je me blâmais encore terriblement pour chaque mot que je lui avais adressé. Pour chaque blessure que je lui avais infligée. Pas un jour ne passait sans que je pense à lui. J'étais hantée par ce qu'il avait pu ressentir.

Je ressentais toujours cette déchirure désagréable lorsque j'avais glissé la lettre dans la boîte, déposant ainsi ma lâcheté entre ses mains. Ce jour-là, j'étais repartie le cœur lourd et les yeux embués de larmes de douleur.

Ma vie avait tellement changé durant ces deux mois, et sans ses lettres, tout semblait différent. Mon existence était devenue terne, insipide. Je commençais à éprouver des émotions que je m'étais interdites, du moins à son égard. Il fallait que je mette fin à cette machinerie infernale avant que ses rouages ne me broient complètement. Je n'avais jamais autant manqué de quelqu'un que je ne voulais plus dans ma vie, et ce sentiment pesait lourdement sur moi. Jeffrey avait exercé une telle emprise sur moi en si peu de temps, par la justesse de ses mots, par cette aura si particulière qui imprégnait ses lettres et m'enveloppait instantanément. J'étais enivrée par le bouquet de son vocabulaire, si bien choisi qu'il grisait tous mes sens. Je ne me reconnaissais plus. Il fallait que j'agisse ainsi. Du moins, c'est ce que je me disais pour me consoler de l'avoir lâchement abandonné.

Je me rendais au cabinet comme chaque jour, avec cette routine implacable. Ce jour là, cependant, une nouvelle patiente allait rompre ce cycle familier, et une certaine nervosité m'envahissait à l'idée de sortir de ma zone de confort. Une mère célibataire d'environ soixante ans, dépendante aux médicaments et maniaco-dépressive. C'était la première fois que j'allais traiter un cas aussi complexe depuis le début de ma carrière. Jusqu'à présent, je n'avais suivi que des alcooliques ou des toxicomanes légers. Ce nouveau défi m'angoissait.

En pénétrant dans mon bureau, je fus suivie de près par le médecin en chef, qui m'interpella.

— Docteur Keller ? Bonjour. Alors, prête à recevoir madame Evans ? dit-il en me tendant un épais dossier orange contenant les détails psychologiques de ma nouvelle patiente.
— Bonjour Docteur ! Oui, bien sûr ! J'ai étudié son cas depuis une semaine et je suis passée quelques fois dans sa chambre pour me présenter.
— Très bien, très bien, répondit-il enchaînant rapidement. Je vous laisse à votre travail, n'oubliez pas de me remettre vos notes avant vendredi après-midi.

Il fit demi-tour aussi rapidement qu'il était venu. Je posai le dossier sur mon bureau, étalant les feuilles pour approfondir ma connaissance de son cas. Plongée dans ma lecture, je ne remarquai pas tout de suite la présence de ma patiente, qui se tenait dans l'encadrure de la porte.

— Madame Evans ! m'exclamai-je en me levant pour l'accueillir. Je vous en prie, installez-vous sur le divan, c'est plus confortable.

Ma patiente s'exécuta en silence.

— Vous vous souvenez de moi ? Je suis venue vous voir il y a quelques jours.

La femme resta silencieuse, se contentant d'observer attentivement les alentours. Les mains posées sur ses genoux, habillés d'une élégante jupe crayon beige, elle était gracieusement apprêtée. Elle ne semblait pas être affectée par les médicaments qu'elle avait pris au fil des années. Son teint était éclatant, probablement rehaussé par un fard à paupières bleu et des pommettes rosées.

— J'aime beaucoup la décoration de votre bureau. Ça me rappelle celui de Charles, mon mari mort à la guerre.

En réalité, son mari l'avait quittée après la naissance de leur deuxième enfant. Leur vie de couple était loin de ressembler à une idylle digne d'une fin heureuse au cinéma. Souvent absent, infidèle et accro aux jeux, il avait abandonné la famille. Depuis, elle vivait dans le deuil de cette rupture qu'elle refusait d'accepter, se plongeant dans une autre réalité, fuyant la douleur à travers divers antidépresseurs, médicaments et autres placebos.

Cher DahmerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant