28 Novembre 1994

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Chaque matin, je me réveillais avec une sensation d'oppression sur la poitrine, comme si un étau m'écrasait lentement. Mon corps se levait mécaniquement, tandis que mon esprit restait engourdi, enveloppé dans un brouillard de désespoir. Chaque pas vers l'hôpital était une bataille intérieure, une lutte contre une apathie écrasante qui me consumais. Les visages souriants et les salutations cordiales des collègues ne me faisais que renforcer mon sentiment d'étrangeté face à cette joie apparente. Je me fondais dans la masse, cachant habilement ma douleur derrière un masque d'indifférence. À l'intérieur, chaque sourire forcé était une lame tranchante dans mon âme déjà meurtrie. Je traversais mes journées comme une ombre, incapable de trouver du sens ou du réconfort dans quoi que ce soit. Les tâches à accomplir et les objectifs à atteindre n'avaient plus d'importance pour moi. Tout ce que je désirai, c'était me libérer de ce fardeau écrasant, disparaître dans l'obscurité où personne ne pourra me trouver. Chaque minute était une épreuve, une agonie silencieuse qui semblait interminable. Et lorsque je rentrais enfin chez moi, j'étais accueillie par le vide étouffant de mon propre désespoir, une solitude qui me consumais jusqu'à ce que je m'endorme, épuisée par le poids insupportable de ma propre existence.

"Toc, Toc, Toc !"

En entendant le toquement familier de mon premier patient à la porte, je soupirai, sentant un poids s'alourdir sur mes épaules. Me levant pour ouvrir, une tristesse soudaine et une démotivation profonde m'envahirent à l'idée de commencer ma journée de travail.

-  Excusez-moi, j'étais perdue dans mes pensées. Entrez, je vous en prie. Alors, comment vous sentez-vous aujourd'hui ?

Tandis que le pauvre homme me racontait son histoire, ses mots semblaient ne pas atteindre mes oreilles. Un murmure presque inaudible peinait à percer le brouhaha de mes pensées. J'étais incapable de suivre la moindre conversation. Pourtant, j'aurais tant aimé écouter Jeff une dernière fois, avant que ce silence ne m'accable un peu plus chaque jour. Sa voix satinée et imperturbable était un réconfort, un miel pour mes oreilles assoiffées de cette mélodie. Au lieu de cela, me voilà assise, à supporter les plaintes incessantes de mes patients défilant les uns après les autres.

- Docteur ? Vous m'écoutez ?
-  Non.
-  Docteur ? Comment ça ?
- Désolée, je dois partir.

Attrapant mes affaires, je quittai le bureau, laissant derrière moi un patient bouche bée d'incompréhension. Sans prendre le temps de prévenir ma hiérarchie, je me dirigeai vers ma voiture, empoignant le volant avec une seule envie : lire et relire les lettres de Dahmer, connaître chaque virgule, chaque majuscule, chaque point par cœur.

À chaque fois que je rentrais chez moi, j'ignorais la boîte aux lettres, redoutant l'absence de ses courriers. Je m'allongeais sur le lit, tenant la petite boîte où étaient précieusement rangées ces lettres, source de toutes mes peines. Mes yeux caressaient les courbes de son écriture, la beauté de son phrasé m'enfonçant dans les souvenirs. Notre première rencontre au parloir, séparés par une vitre, nos visages se rapprochant jusqu'à embuer cette barrière entre nous. Le premier contact de sa peau contre la mienne, son parfum lorsque je l'ai pris dans mes bras, la douceur de ses mèches blondes entre mes doigts.

"Driinng ! Driinng ! Driinng !"

La sonnette avait retentit si brusquement que je bondissais hors de mon lit, prise par la surprise.

-  Mince, ce doit encore être le travail, marmonnai-je en me dirigeant vers la porte d'entrée.
-  Bonjour, Madame Keller. J'ai du courrier pour vous, mais votre boîte est pleine, alors je n'ai pas voulu tout entasser, annonça le facteur.
- Oh... Oui, pardon, j'étais en déplacement dernièrement, répondis-je en attrapant la petite pile d'enveloppes.

Je feuilletai les lettres d'un geste machinal, sans y prêter vraiment attention, jusqu'à ce qu'une enveloppe en provenance du centre correctionnel de Portage attira mon regard. Mon corps se figea instantanément.

Cher DahmerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant