Chapitre 23 - Wendy Patrickus

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J'écrasai la pointe de ma cigarette dans le cendrier. Je ne fumais pas habituellement, mais aujourd'hui, j'avais vraiment besoin d'en griller une. Cela faisait presque deux mois que je me battais avec les administrations pour faire valoir mon dossier et prendre en charge Jeffrey Dahmer. Je voulais absolument le voir en dehors de ce parloir collectif. En attendant, nous continuions nos rendez-vous réguliers chaque mardi et jeudi.

Le rythme ne faiblissait pas, contrairement à ce que j'avais imaginé. Jeff semblait apprécier autant que moi nos petites interludes dans son quotidien sûrement monotone. Quant à moi, je ne pouvais plus me passer de cette routine que nous avions instaurée. Je ne pensais plus qu'à ça, au point de ne plus sortir la semaine et de me plonger dans la rédaction de lettres pour patienter jusqu'à notre prochaine rencontre.

Consciente que je m'enfermais dans un mode de vie toxique, je ne voulais pour rien au monde en sortir. J'étais bien dans cet univers où il n'y avait que nous.

« toc toc toc »

Je laissai la pile de papiers grossièrement étalée sur la table de la cuisine avant d'ouvrir la porte, stupéfaite de découvrir le visage de Chad.

- Chad ? Quelle surprise, que fais-tu là ?

Sans même esquisser un sourire, il souleva un carton et me le tendit.

- Tiens, en faisant mes cartons ce matin, j'ai retrouvé quelques babioles à toi qui traînaient chez moi. En revanche, j'aimerais récupérer le carton.

Décontenancée, je l'invitai à entrer le temps de vider mes affaires et de lui rendre son carton.

- J'en ai pour deux secondes, tu veux boire quelque chose ?
- Non merci.

Inexpressif, le visage fermé et impassible, il restait immobile, se contentant d'observer le plafond d'un air complètement désintéressé.

- Chad... on n'est plus des ados, tu peux me parler quand même.
-  Pour te dire quoi ? J'ai rien à te dire.

J'éludai le sujet qui me brûlait les lèvres.

- Comment vas-tu ?
- En quoi ça t'intéresse ?

Ce n'était pas une question. J'avais senti le pic désagréable de sa réponse percer mon estomac. Je ne ripostai pas.

- Arrête, veux-tu... on peut en parler.
- Oh, allons-y ! Parler du fait que durant des mois tu m'as menti ou du fait que tu m'as largué de la pire des manières, me laissant comme un con seul sur un trottoir pour rejoindre un malade mental ?
- On peut parler des deux, Chad, si ça peut te soulager.
Il marqua une brève pause.
- Écoute, Chad, je ne te demande pas de me pardonner, car moi-même je n'y arrive pas. Ça aurait pu être différent, mais je comprends que pour toi ça aurait été difficile de vivre au milieu de tout ça... Je ne t'aimais pas à ta juste valeur et ça vaut ce que ça vaut, mais je tenais beaucoup à toi. J'avais de forts sentiments et c'était réellement sincère.

Il détourna le regard, comme si ma déclaration l'amenait à reconsidérer les derniers événements.

- Ouais, et ça aussi c'est sincère.

Je suivis son regard qui s'était posé sur la table derrière moi, pleine de tous les papiers de ma démarche.
- Attends, ce n'est pas ce que tu crois !
- Si ! C'est exactement ce que je crois ! Tu es perdue et personne ne peut te ramener. Ouvre les yeux ! Regarde jusqu'où tu vas ? Tu vas trop loin, ce délire va trop loin.

Il récupéra son carton avant de tourner les talons et de quitter la maison, me laissant là, les bras tombants, complètement désemparée.
Il avait raison. J'allais trop loin. J'étais prise dans une spirale infernale qui finirait inévitablement par me broyer. J'étais consciente, absolument consciente de ce que je faisais et de ce dans quoi je m'embarquais, mais je ne voulais tout simplement pas faire demi-tour.
Malgré les blessures que m'avait infligées cet échange, je rassemblai mes papiers et me dirigeai vers la voiture.

Cher DahmerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant