Chapitre 18 - Columbia Correctional Institution

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Sur la route du retour, un silence pesant s'installa dans l'habitacle. Je n'osais pas regarder Chad, concentrée sur l'horizon devenu sombre. Les mains fixées sur le volant, le regard perdu, il semblait absorbé dans ses pensées, tandis que le poids du silence qui nous enveloppait m'écrasait d'une soudaine et pénible culpabilité.

En plus des scrupules qui s'emparaient de moi, le trouble et l'incompréhension s'installaient lentement, provoquant une peur irrationnelle de mes propres sentiments. Malgré mes efforts pour me convaincre du contraire, je réalisais avec effroi la véracité de ce que je ressentais pour Jeffrey.

- Chad, Je...

Avant même que je puisse terminer ma phrase, il m'interrompit calmement.

- Ne t'en fais pas, Annie. Des types lourds, il y en a à tous les âges.
- Je suis désolée. Je n'ai pas su le repousser. Je me sens également coupable.

Il continuait à fixer la route, éclairée uniquement par les phares qui balayaient le paysage sombre. Je savais qu'il était contrarié contre moi, mais son silence me terrifiait, consciente que je l'avais réellement blessé.
Arrivés devant la maison, aucun mot ne sortait de nos bouches, nous étions tous deux submergés par un silence pesant. Je restais assise à côté de lui, attendant une quelconque réaction, mais il ne disait rien. Chad se contenta de descendre de la voiture, me claquant la porte au visage, me laissant seule avec mes démons.

C'est avec difficulté que je le suivis dans la maison, pour constater avec horreur qu'il était à genoux devant le lit de la chambre, tenant dans ses mains la petite boîte contenant mon passé embarrassant.

- Chad ? Que fais-tu ? lui demandai-je prudemment en m'approchant.
- Qu'y a-t-il dans cette boîte, Annie ? 
- Je te l'ai dit tout à l'heure : des souvenirs.

Il réfléchit un instant.

- Des bons souvenirs, tu veux dire, Annie.
- Oui, entre autres. Donne-moi cette boîte, s'il te plaît.
- Pourquoi ?
- Chad, ne complique pas les choses.
- Annie, je ne sais pas pourquoi. Une étrange sensation me dit que le contenu de cette boîte est étrangement lié à ce qui s'est passé durant la soirée tout à l'heure et... merde... Ne me mens pas, Annie. Je ne suis pas le genre de mec à me faire des scénarios.

Je l'observais, pétrifiée à l'idée de lui raconter cette partie de mon passé, pétrifiée de voir son regard changer et ne plus jamais être le même à mon égard après cette révélation. Mon corps me faisait mal, mes muscles étaient aussi tendus qu'un arc prêt à envoyer sa flèche sur sa cible, mon cœur galopait. Il tambourinait contre ma poitrine, me causant quelques palpitations désagréables que j'essayais de chasser à grandes respirations.

- C'est mon passé, il me regarde.

Sur ces quelques mots, Chad plongea son regard devenu humide dans le mien. Je pouvais constater avec douleur la confiance se défaire dans ses yeux, la peine s'emparer de son être, la déception l'envahir à grands flots, l'inondant tout entier. Il crocheta le petit loquet où était logé le cadenas, ouvrant alors ma boîte de Pandore, libérant tous ses maux. Dans un calme olympien, il s'empara de la photo de Jeffrey, puis la posa avant de se munir des lettres de ce dernier. Ses iris parcouraient le papier, découvrant les mots, les phrases et les pensées de Dahmer.
Je n'osais bouger, je me contentais simplement de rester là, face à ce spectacle, complètement impuissante, les bras tombants le long de mon corps, témoignant de ma passivité.
Chad releva alors le visage dans ma direction. Son regard empli de tristesse laissait désormais place à l'épouvante, ne manquant pas de me traverser de part en part.

- Tu... Dis-moi que je rêve ?
- Chad ! m'exclamai-je en me précipitant vers lui, saisissant ses mains.
C'était bien avant de te connaître. Au départ, c'était une simple étude sur la psychologie dérangée d'un tueur en série. Puis, à force d'échanger...
- À force d'échanger quoi ! Annie, tu es folle ?
- Chad... Je t'en prie, laisse-moi finir, réussis-je à dire dans un léger sanglot.
C'est humain de tisser des liens avec une personne. J'étais abominablement seule, me limitant à travailler et à rentrer chez moi. Je n'avais aucune vie sociale et lui écrire m'a simplement égarée. Regarde désormais comme je vais bien depuis que tu es là, depuis que je revois Amanda et que ma vie a repris !
- Tu l'aimes ?
- Non ! Bien sûr que non ! Que vas-tu imaginer ?
- Je ne sais pas, Annie. Avoue que la situation est tout de même étrange. Je te retrouve dans les bras d'un mec déguisé en Jeffrey Dahmer et j'apprends que tu avais une correspondance avec lui. Annie, ce n'est pas rien !

Cher DahmerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant