Chapitre 8

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Oui. Oui, il l'était. Mais pourquoi ? Je ne le savais pas. Aucun de nous n'aurait su répondre à cette question. Nous ne cherchâmes pas à comprendre pourquoi. Tout ce qui nous préoccupait à présent était de rentrer. Mais où ? J'étais censée rejoindre mon père, mais en avais-je envie ? Tous les sacrifices déjà faits auront-ils été vains ? Le mien sauverait-il vraiment les Révoltants ? Étais-je une rebelle ou me reposais-je derrière ce titre pour me donner du courage ? Mais en avais-je si je refusais de prendre le risque de mettre ma vie en péril ? Arthur l'avait-il choisi ou sa mort avait-elle seulement été secondaire et sans importance ? Mais l'avait-elle vraiment été si le Patriote avait repéré notre position ? Mais l'avait-il vraiment repéré si nous étions toujours en vie ? Nos vies elles-mêmes méritaient-elles de continuer ? Pourquoi étais-je en vie si d'autres ne l'étaient plus ? Devais-je suivre un chemin qui m'était prédit ? Etais-je destinée à me sacrifier ? Devais-je rejoindre mon père ? Mais en avais-je envie ? Tous les sacrifices déjà faits auront-ils été vains ?

Ce cercle vicieux de questions sans réponses hantait mon esprit. Je ne pouvais m'en défaire. Le voulais-je ? Je n'en savais rien. J'étais une réponse avec pour question une que je ne connaissais même pas. J'avais beau lutter et résister, rien n'aurait pu m'aider.

***

Cher journal,

Me revoilà après une longue absence. Ecrire m'avait manquée, tu m'avais manquée. Alors me voici, stylo à la main et âme brisée, prête à te partager mes malheurs les plus sombres. Nous sommes le jeudi 22 juin 3104. Par une après-midi glaciale et agitée, mes pleurs se mélangent aux gouttes de pluie et mon âme est aussi déchaînée que la mer. Je crois que je n'ai jamais été aussi dévastée qu'aujourd'hui. Je suis perdue au fond d'un gouffre qui me semble sans issue. Je ne suis même plus certaine de vouloir la trouver. La vie donne ses combats les plus durs à ses soldats les plus forts. Mais à présent, je doute d'en être un. Je ne suis plus persuadée d'être à la hauteur. Tout ce que je croyais connaître n'est en vérité qu'un mensonge dans lequel on m'a toujours bercée. Je crois que je craque. En ce moment même, je donnerais tout pour changer de vie, pour changer de situation, pour changer de destin, pour ne plus être Agathe Fischer. Mais, à t'en douter, cela m'est impossible. Je suis condamnée à affronter mon destin, ma voie, ma vie.

Pour être honnête, je suis condamnée à m'affronter moi-même.

Récemment, j'ai eu plusieurs révélations. Ma mère est soit morte, soit mourante. Ses jours sont comptés. Je m'en tiens responsable sans vraiment l'être. Tout aurait été plus facile si je n'avais jamais eu à exister. Dit comme ça, ma vie semble être un fardeau. Mais depuis quelque temps, elle l'est. Le sort est plein d'ironie. Ma mère est morte indirectement des mains de Maxime. Je sais qu'il a tué son clone pour me protéger, sinon je serais morte, tuée par le clone. Je ne peux pas lui en vouloir non plus, il n'était pas au courant que ma mère, elle-aussi, mourrait. Pourtant, je ressens envers lui une haine sans précédent. J'ai perdu ma mère à cause de lui. Je ne sais même pas si ma fureur est méritée. L'est-elle ?

Si seulement ma douleur venait à se terminer ici... Je me revois ce matin, gravir peu à peu les échelons du bunker après avoir lu la lettre de mon meilleur ami. A peine à la surface que mon cœur s'est arrêté de battre. Le temps lui-même a semblé ne plus fonctionner. Tout s'est effondré en une fraction de seconde. Mon visage était baigné de larmes autant que son corps de sang. Ses yeux éteints ont semblé m'observer cependant de manière intense. Je ne me suis même pas rendue compte que j'avais crié. Son corps était inanimé, allongé devant moi. Il avait voulu rejoindre ses parents, je crois malheureusement que cela est fait.

Je ne sais plus quoi faire. Dois-je aller à la rencontre de mon père ou juste chercher à survivre sans me détruire davantage ? Mais si je n'y fais rien, d'autres innocents deviendront des victimes, et cela sans s'arrêter. Je repense à ce qu'Arthur a écrit : « Si personne ne riposte, ils ne s'arrêteront pas. ». J'ai besoin de réponses.

CondamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant