Chapitre 12 - L'Iris de Merlan, la fleur éternelle

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La nuit est tombée depuis deux heures, pourtant la chaleur, elle, reste étouffante et bien présente. Comme ma mélancolie. L'horizon, au loin, est teinté d'orange, le magma jaillissant éclaire le ciel. Un nuage de cendres surplombe la terre, se mêlant aux cumulus. La fumée dense me gratte la gorge et pique mes yeux. Les nuances de bleu, orange, rouge et noir représentent un tableau saisissant. Aussi surprenant que ce monde. Et pourtant je ne suis pas impressionnée par ce décor. Je préférerais être chez moi. Une bourrasque d'air chaud souffle sur mon visage, nous voguons sur un territoire volcanique, la température peut grimper jusqu'à quarante degrés et ne baisse pas en dessous des vingt-cinq la nuit. C'est un véritable calvaire et j'ignore pourquoi nous sommes ici.

Nous avons vogué en ligne droite dans la Mer de Kara pour nous retrouver au cœur de la région des Volcans. Garoggra, la Terre de Feu. Rien que le nom n'est pas accueillant.

Les larmes me menacent. Ma bouche se tord dans une grimace alors que quelques pirates décuvent sur le pont. L'un d'eux boitille jusqu'à moi, se tenant à la rambarde du navire pour ne pas chavirer.

Je vais devoir remettre mes larmes à plus tard. J'espère qu'il ne me veut rien de mal, ni Elliott, ni Nika ne sont dans les parages.

— Ça me rappelle mon monde, affirme le matelot en levant son godet plein vers l'horizon.

Je l'ignore et continue de fixer l'horizon à m'en brûler la rétine tant la chaleur des feux est puissante.

— Quand j'étais marin..., commence-t-il.

Il joue avec son verre comme s'il était chef d'orchestre et fredonne une mélodie. Je pourrais m'en aller et me réfugier dans ma chambre. Et au matin, entendre à nouveau les cris du Capitaine résonner dans tout le bateau. Sans que je ne sache pourquoi. Parce qu'il est maudit certainement et que des fantômes traînent dans le coin.

Nous étions quatre marins... sur les vagues et tempêtes...

Mon cœur rate, soudainement, un battement. Je connais cet air, mon père me le chantait souvent lorsque je devais m'endormir avant qu'il ne parte en mer. Je me retourne vivement vers l'homme.

Je crois l'avoir aperçu le jour de la cérémonie d'adieu de Bartos. Je l'examine de la tête aux pieds alors qu'il tient à peine debout à cause de tout l'alcool ingéré. Des cheveux longs et gras et une barbe mal coupée qui frise sous un nez rouge bien gonflé. L'ivrogne par excellence.

— Vous êtes du Monde des Ignorants ? demandé-je.

Il acquiesce en buvant une grande gorgée de ce que j'imagine être du rhum.

— Plus depuis trois ans ma p'tite, notre navire a chaviré et j'me suis retrouvé là !

Il indique d'un grand geste, en manquant de m'arroser d'alcool, le pont. Un flibustier dans le même état le salue et lorsqu'il fait volte-face pour le rejoindre, j'aperçois une broderie sur son haut. Elle est plutôt petite, mais je la reconnais entre mille. Je l'ai touché si souvent du bout des doigts. C'est l'insigne du navire de mon père.

Mon souffle se coupe, mon cœur s'emballe et mes joues chauffent. C'est un rescapé du naufrage. Difficile de le reconnaître du premier coup avec cet accoutrement. Pourtant l'évidence me frappe de plein fouet, c'est comme une gifle qui vous met au sol. Mes idées se percutent dans mon esprit. Je revois mon père s'en aller, saluer cet homme ivre devant moi au loin, son sac sur le dos. Et si ? Et si ? Les battements de mon cœur sont si intenses, désormais, que je peux les entendre distinctement. Bien que les vagues chavirent avec force contre la coque.

— Est-ce...

Des millions de questions s'emballent et se multiplient dans ma tête. Sans savoir pourquoi, je fais volte-face sur le pont, comme si j'allais découvrir celui que j'aime tant, devant moi.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant