Chapitre 40 - Bain de minuit

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Nous avons rebroussé chemin avec Elliott en très peu de temps. Dehors l'atmosphère a légèrement changé. Le ciel clair s'est teinté de nuances rose et orange. Les habitants quittent les rues pour leur chaumière. L'odeur sucrée de la pourvoyeuse persiste dans mes narines, mais je sens aussi des notes plus douces, comme celles des jonquilles qui jonchent les murs que nous longeons.

Mes oreilles ont gardé le rythme de la harpe sous la Lagune, par moment je me surprends à entendre une mélodie d'oiseau. Un rouge-gorge se pose sur la branche d'un cerisier en fleurs devant nous. Il chantonne sa prose avant de s'envoler vers les nuages.

C'est tellement calme, presque angoissant quand on sait que, sous terre, le sol gronde de dépravation.

— Le royaume du printemps est très étrange, non, petit colibri ?

Je tourne la tête vers Elliott. Nous déambulons et j'ignore où se trouve ce fameux lac qu'il a mentionné. Tant et si bien que son Capitaine daigne nous rejoindre à un moment donné.

— Il est plein de surprises, réponds-je.

En bien et en mal, je veux rajouter, mais à la place j'aspire ma lèvre en détaillant les briques blanches inlassablement identiques.

— C'est parce qu'il est diamétralement opposé à l'ordre général qu'il attire les gens. Souvent ceux sans repère.

— Tu es déjà venu ici, Elliott ?

— C'est ici que j'ai rencontré Valia, me confie le Timonier tout en scrutant l'horizon.

Nous empruntons un pont au-dessus d'un canal, l'eau sous nos pieds est cristalline, si belle, sans aucune imperfection, qu'on peut apercevoir des poissons creuser sous la terre pour trouver de quoi se nourrir.

— J'avais pris mes fonctions dans la garde royale, lorsque je l'ai croisé dans un bar miteux sous un lac verdâtre qui empestait la vase.

Je cligne des yeux et l'observe d'un air interrogateur, je ne sais pas ce qui me surprend le plus ; qu'il ait été garde ou que d'autres gargotes se trouvent sous les eaux. À mon attitude dubitative et à ma bouche grande ouverte, Elliott ricane légèrement.

Il appose ses deux paumes sur la pierre du pont et observe les roseaux qui se balancent au gré de la brise de début de soirée. Peut-être que cet endroit lui rappelle des souvenirs que j'ignore.

— Par où commencer quand tu as cent cinq ans de retard, petit colibri ?

Comme si c'était ma faute. Je fronce les sourcils, suivant la trace d'un Gentleman effrayé par notre ombre. Je pourrais lui demander ce qui a pu se produire pour qu'il bascule d'un camp à l'autre. Pour autant, je n'ai pas envie d'entendre une énième histoire sur Morgan. À la place, je trace des cercles imaginaires d'un doigt sur la pierre, une poussière blanche s'incruste sur ma peau.

— Comment était-elle ? Valia ?

Elliott sourit pour lui-même.

— Comme toi : tempétueuse, bornée, mais dotée d'un grand cœur.

— Alors je suis généreuse ?

Le Timonier se tourne vers moi, sa douceur m'enveloppe. Il a toujours été protecteur envers moi, bien que je l'ai poussé dans ses retranchements plus d'une fois.

— Je suis désolée pour le pacte, avoué-je en venant saisir ma perle frétillante sous mon grain de peau.

— C'était un mal nécessaire. Et puis nous sommes liés au final.

J'arque un sourcil vers le ciel.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il examine les passants par-dessus son épaule, les rares qui traînent dans les rues ne tardent pas à entrer dans les maisons. Je me demande alors s'il existe plusieurs passages pour se rendre dans les gargotes.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant