Chapitre 14 - Poème de Merlan

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Nous courrons pendant ce qui me paraît une éternité, je n'aperçois plus l'océan derrière moi et à l'intensité de la douleur dans mon cou, je devine que nous nous sommes enfoncés dans les terres. Ici tout est rocailleux, aride et étouffant. Il n'y a aucun arbre, aucun coin de prairie. Tout a simplement brûlé.

L'air est chargé de cendres. Je tousse au travers de mon masque et commence à ralentir le rythme. Pour la énième fois, mes pieds se prennent dans les crevasses de la roche et je manque de m'étaler de tout mon long. Morgan me rattrape de justesse et se tourne vers moi. Son front est couvert de sueur, son buste se soulève avec frénésie.

— Morgan... Je.... Je n'y arrive plus.

Ma vision se trouble, et ma tête tourne tellement que le décor commence à tourbillonner devant moi.

— Quand tu parles enfin, c'est pour te plaindre...

Si j'avais eu la force de le foudroyer du regard, je l'aurais fait. Et je ne me serais pas contentée de l'assassiner d'un coup d'œil, je lui aurais asséné un coup adroit dans les bijoux de famille. Il ricane légèrement et ma faible colère se dissipe quand il me tend une gourde. J'ignore d'où il la sort, ni même si elle contient du poison. Mais ma bouche est sèche et je salive à l'idée de boire un peu.

— C'est de l'eau de Latma, elle apaisera ta soif pendant une petite heure, mais les effets de la déshydratation seront pires après.

Voyant qu'il s'arrête, je m'autorise une pause, me plie en avant, mes mains sur les genoux pour reprendre mon souffle.

— Pire comment ?

Morgan observe sa gourde en silence. Je n'aime pas l'expression qui s'affiche sur son visage. Le ciel gronde et les volcans crachent leur magma. Ma peau semble s'embraser et mes yeux me brûlent tant l'air est bouillant.

Le Capitaine me tend l'objet d'acier. J'aurais pu me jeter dessus et boire goulûment si je n'avais pas peur de finir aussi sèche d'une feuille en automne.

— Si tu en bois, j'en bois aussi, dit Morgan.

Je scrute l'éclat de détermination dans ses yeux. Cette fleur doit avoir beaucoup d'importance pour qu'il choisisse de mourir.

— Il faudra qu'on soit sur La Chimère dans moins d'une heure. Plus de chute ni de plaintes. C'est compris ?

À peine ai-je hoché la tête qu'il amène la gourde à sa bouche. La souffrance commence à me faire délirer. Je m'humecte les lèvres en observant les siennes, pleines, rose pâle, incurvées sur le haut, accentuant son arc de cupidon. Une goutte d'eau y reste suspendue, je pourrais puiser dans mes dernières forces pour me hisser vers lui et la capturer.

Mes yeux ne quittent plus le bas de son visage, je me lèche les babines à l'idée de goûter à cette eau sur sa peau.

Morgan me saisit l'arrière du crâne sans prévenir et me fait boire le reste du liquide. C'est sucré et amer à la fois. Je sens ma gorge frétiller d'impatience et ma langue claque contre mon palais pour savourer la moindre goutte. Je mets quelques secondes à reprendre mes esprits, ouvrant et fermant la bouche, clignant des yeux, sans y voir clair.

Son pouce essuie ma lèvre et j'inspire si fort que j'en ai mal au thorax.

— Ce sera efficace rapidement.

Son souffle chaud s'écrase sur mon grain de peau. La chaleur me semble moins insupportable, pourtant, mon visage est brûlant.

— Remettons-nous en route, les ronces ne sont plus très loin.

Ai-je bien entendu ? Nous longeons un mur de roche, des bouts s'effritent à chaque grondement des volcans. Je place ma main sur mon crâne, pour me protéger. Bien que ça soit complètement inutile.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant