Chapitre 30 - Le Barbegazi

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 Je frissonne si fort que je suis tirée de mon sommeil sans rêve, papillonnant des yeux, il me faut quelques secondes pour me repérer. Un amas de glace dans mon champ de vision me donne aussitôt la réponse. Nous sommes toujours sur les Mer de Glace, voguant lentement entre les différentes couches de givre qui flottent entre nous.

— Pierre, feuille, ciseau, un, deux, trois.

Mon corps est ankylosé par le froid, je me redresse comme je peux de ma minuscule place, les jambes de Dubh écrasent les miennes. Un regard autour de nous et je réalise que la surface de l'eau reste calme. Nous n'avançons plus en réalité.

— Pierre, tu as perdu, Elliott !

Je balaie mes cheveux devant mes yeux pour découvrir Morgan et Elliott en train de jouer à ce jeu si populaire. Ce sont les deux seuls réveillés et personne ne semble dérangé par leur petite querelle.

— Tu sors toujours la pierre, bougonne Elliott.

J'ai l'impression de n'avoir jamais quitté l'orphelinat.

— C'est à toi d'être plus malin et de prendre papier plus souvent.

Je ricane en les observant relancer une seconde partie qu'ils stoppent dès qu'ils se tournent vers moi.

— Très bien, maintenant que Cameron est réveillée, elle va pouvoir désigner celui qui va ramer.

J'ai le sentiment de faire un bond de plus de cinq cents ans en arrière en les observant jouer. Je cligne des yeux, la bouche pâteuse de mon sommeil peu réparateur.

— Vous voulez dire qu'on n'avance plus ? demandé-je la voix rauque.

— Non, l'un de nous doit dormir avant de s'effondrer.

J'arque les sourcils, pas certaine de comprendre. Morgan se déplace comme il peut pour se positionner contre moi. Il fait rouler Malo sur le dos, ce dernier grogne sans se réveiller. Quel sommeil de plomb !

— On a appris à nos dépens qu'il ne faut jamais être le seul éveillé sur cette traversée, m'explique le Capitaine en prenant ma main dans la sienne.

Ma Marque d'Elmor frétille et je lâche un soupir de soulagement en me réfugiant contre lui. Morgan passe un pan de sa cape fourrée sur mes épaules pour partager un peu de chaleur. J'ai le visage tiraillé par le vent glacial.

— Qu'est-ce qu'il a de spécial cet endroit ?

Le Capitaine m'indique le ciel du menton, je relève la tête en écarquillant les yeux. Des aurores boréales nous surplombent comme des rideaux flottant au gré du vent, traversent l'atmosphère, les filets de lumières vertes scintillent et les étoiles plus loin ont un éclat améthyste éblouissant.

J'ouvre plus grand le regard quand un nuage de poussière colorée se détache de la structure, il tourbillonne sur lui-même avant de se stabiliser. Je crois deviner un museau, puis une queue touffue. Et soudain, un renard aux multiples teintes apparaît.

Il s'élance sur ses quatre pattes et court sur les aurores. Je l'entends glapir, son cri résonnant dans la nuit.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Le Renard de Feu de Celos, il est le gardien des cieux sur les terres de l'automne.

— Ça veut dire qu'on arrive bientôt ? questionné-je en cherchant le mammifère qui a disparu.

— Non, pas encore, petit colibri, intervient Elliott, ce que nous voyons se trouve en réalité à des dizaines de kilomètres.

Je déglutis en calculant rapidement le temps qu'il nous reste à parcourir.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant