Chapitre 13 - Gordra, le chef à la peau rouge

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Le bateau tangue une dernière fois, plus fort, lorsqu'il est au port. Je m'accroche à la rambarde en observant les autochtones qui nous accueillent. Je suis bien étonnée qu'ils ne montrent aucune résistance, nous sommes tout de même un navire de pirates. Leur peau rouge est, par endroit, recouverte de cendres noires et des crevasses se sont formées sur leurs joues, bras ou jambes. Comme si la chaleur commençait à les consumer. J'ai l'impression que je vais suivre la même métamorphose en posant pied à terre.

Aussitôt la marque dans mon cou s'éveille et m'électrise, en guise d'avertissement. Tu ne t'échapperas pas une seconde fois. Elliott me le rappelle en cet instant, d'un signe du menton.

Je remonte l'écharpe de fortune que j'ai trouvée dans ma cabine - elle sent horriblement mauvais - sur mon nez. L'air est suffocant à cause du soufre dégagé par les volcans en éruption. Le ciel est si sombre qu'on pourrait croire qu'il n'existe plus de jour. Des nuages gigantesques surplombent l'endroit et rendent l'atmosphère encore plus lourde qu'elle ne l'est déjà.

Je me demande comment ces habitants respirent. Je transpire à grosses gouttes, mes vêtements me collent à la peau, je pourrais me les arracher que ma peau serait encore comme un manteau de fourrure.

Un tapotement, comme un bout de bois qu'on frappe au sol, résonne. Les murmures ci et là s'estompent. Un des Êtres à la peau rouge, une canne en bois dans la main, le dos arqué, vient d'apparaître au milieu de la foule. Les autochtones se penchent en avant en guise de révérence, les pirates les imitent. Interloquée, je cherche le regard d'Elliott, Nika ou même - et ça m'énerve de me l'avouer - de Morgan.

Ce dernier hoche la tête et imite son équipage. Je me précipite pour suivre le mouvement, dans un geste que j'imagine ridicule. Je n'ai jamais eu l'occasion de faire ce genre de choses. La canne tape trois fois de suite au sol. Le regard fixant mes pieds, je n'ose plus respirer. Des voix s'élèvent et je crois reconnaître une prière. D'un timbre solennel, monocorde et grave, les Êtres rouges récitent ce qui ressemble à un message d'accueil.

— Bienvenu mon ami.

Cette voix voilée doit être celle du chef.

Je manque de me faire un torticolis pour voir ce qui se passe. Quand je comprends que tout le monde s'est redressé, un sourire moqueur aux lèvres. Les espèces d'abrutis ! J'aperçois l'homme qui a chanté la mélodie, mes souvenirs sont vagues, mais une intuition se glisse au creux de mon ventre. Comme un murmure provenant de la mer.

— Gordra, ravi de te revoir, mon vieil ami, s'exprime calmement Morgan d'un ton presque chaleureux.

— Tu apparais toujours quand on n'espère pas te trouver, Morgan Caelan Éloïm Krug.

Je ne peux retenir de pouffer en entendant tous les prénoms du Capitaine. Ce dernier fronce les sourcils et tend sa main au chef des peaux rouges. Le fameux Gordra observe le brun d'un œil intrigué. Il plisse si fort les yeux qu'ils disparaissent derrière ses rides. Sa longue barbe noire recouvre plus de la moitié de son visage, tandis qu'il n'a presque plus de cheveux sur son crâne. Couleur rouge sang.

Je frissonne de la tête aux pieds.

Comprenant la méfiance du vieil homme, Morgan plonge nonchalamment ses mains dans son pantalon de velours. Il lui colle à la peau et je réalise, tout en rougissant, qu'il est vraiment très musclé. Il ne montre aucune gêne par rapport à la chaleur. Contrairement à moi, qui souffle sans arrêt. Seul son front est couvert de sueur.

C'est imperceptible, si on ne fixe pas sa mâchoire comme je suis en train de le faire. Mais Morgan est crispé, il grince des dents.

— J'ai des cadeaux pour toi, Gordra.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant