Chapitre 10

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L'esprit totalement embrumé, Yuna tendit hasardeusement le bras dans l'espoir déteindre son alarme qui sonnait depuis trois interminables minutes. Les yeux toujours clos, elle décolla son buste du matelas, tentant de retrouver l'usage de ses membres encore endormis. Elle regretta bien rapidement d'avoir cédé à la tentation du sommeil. Dormir moins d'une heure relevait selon elle d'une fausse bonne idée.

Quand elle fut de nouveau capable de nommer chacun de ses membres, la jeune femme se fit violence pour enfin ouvrir les paupières. Elle s'infligea une bonne paire de claques sur les joues pour terminer de se réveiller puis se rendit à sa commode. Elle en sortit une tenue entièrement noire qui lui permettrait de parfaitement se dissimuler dans les ténèbres de la nuit. Elle enfila ses sneakers de la même couleur puis quitta sa chambre.

En arrivant dans le hall, Yuna fut ravie de constater que, pour une fois, tout le monde était à l'heure. Sans doute était-il plus facile de se motiver à 21 heures qu'à minuit.

La victime du jour nécessitait ce petit bouleversement dans leurs habitudes, mais ce n'était apparemment pas pour déplaire à tout le monde. Yuna était d'ailleurs impatiente de terminer cette besogne pour retrouver son lit et enfin passer une nuit décente. Elle sentait que ses yeux étaient gonflés de fatigue et qu'elle était légèrement moins réactive qu'à l'accoutumée. Dormir des heures entières pour rembourser quelque peu sa dette de sommeil qui ne faisait que s'alourdir au fil des années, c'était tout ce dont elle rêvait en cet instant.

— Tout le monde est prêt ? demanda-t-elle d'une voix assurée.

Tous acquiescèrent silencieusement. Seule une détermination sans faille se reflétait dans leur regard.

— Alors on y va.

Habillés de leurs tenues sombres, les cinq criminels sortirent du hangar et coururent dans la nuit, se camouflant dans les rues les plus obscures alors que la lune semblait être le seul témoin de leurs actes. Toujours séparées de plusieurs mètres les unes des autres, les constellations omnipotentes traversèrent une quinzaine de rues en vérifiant que personne ne les suivait.

Le vent frais fouetta le visage de Yuna, terminant de la réveiller. Elle commençait enfin à se plonger dans cet état de concentration qui lui était propre. Chacun de ses pas était d'une discrétion absolue. Elle évitait habilement les moindres flaques d'eau qui pourraient trahir sa présence. L'adrénaline et l'euphorie se répandaient lentement en elle, devenant le moteur de chacun de ses mouvements.

Yuna avait lu de nombreuses études qui expliquaient que chaque personne pouvait se sentir réellement en vie uniquement quand leurs sens étaient galvanisés dans le but de faire une chose qui leur tenait à cœur. Que ce soit le sport, l'amour, ou encore les passions, l'Homme était capable de se sentir pleinement vivant lorsqu'il pratiquait l'une de ces futilités avec ferveur. Mais rien de toutes ces choses ne passionnait à ce point Yuna. Elle ne trouvait le plaisir qu'en égorgeant ses victimes, d'une seule traite. Elle se moquait d'ailleurs souvent de l'ironie de se sentir plus que jamais vivante uniquement face à la mort.

Quand il arrivèrent devant la villa de luxe que s'était gracieusement offerte leur victime, les assassins s'adressèrent un regard entendu avant de rentrer par l'une des fenêtres de rez-de-chaussée. À peine Andromède eut-elle mis un pied dans ce qui s'avérait être la cuisine, qu'elle tomba nez à nez avec un garde qui s'empressa de l'attaquer. Elle riposta avec un grand sourire joueur, se saisissant du canif qu'elle portait constamment sur elle pour tailler la gorge de son opposant. Le pourpre du sang faiblement éclairé par les lueurs de la lune contrastait avec le blanc immaculé du carrelage.

Un contraste bien plus agréable que celui du sang sur le goudron.

Yuna secoua vivement la tête pour sortir de ses pensées et se recentrer sur son objectif. Elle quitta la cuisine, imitée par ses compagnons, et se rendit dans le hall principal où devait se trouver leur proie.

À peine furent-ils sur les lieux que leur cible apparaissait d'ores et déjà dans leur champ de vision.

— Laisse-moi m'en charger, chuchota Pégase à Andromède en posant une main ferme et puissante sur son épaule.

Il n'était encore jamais arrivé que l'un des membres du groupe s'impose pour tuer la cible d'Andromède, mais cette dernière accepta étrangement, sans sourciller.

Elle observa son plus ancien camarade se faufiler discrètement dans le dos de sa proie tout en s'assurant qu'aucun autre garde ne viendrait le gêner. Un sourire satisfait déforma les lèvres de la jeune femme alors que le tranchant de la lame de Pégase laissait apparaître ce liquide carmin indispensable à la vie. La moquette s'imbiba du sang de la trentenaire qui n'avait même pas eu le temps de crier sa douleur.

Une mort bien trop lente pour la raclure que tu es.

— On peut rentrer, annonça Pégase en se redirigeant vers les autres.

— Bon travail, murmura Andromède en lui adressant un sourire.

Elle se retint de soupirer pour évacuer toute la tension accumulée. Elle allait enfin pouvoir se reposer. Jamais Yuna n'avait à ce point imploré son lit. Dans une demi-heure, elle allait enfin pouvoir plonger dans un profond sommeil de plomb.

Elle tourna les talons pour se rendre vers la sortie, suivie de près par ses camarades. Elle s'immobilisa instantanément lorsqu'un frisson désagréable lui parcourut l'échine.

On nous attaque !

— PÉGASE ! hurla-t-elle en se retournant.

Une détonation fendit l'air et une balle transperça la chair. Les iris bleus Yuna reflétèrent l'hémoglobine qui tâchait le sol à quelques mètres d'elle.

Le grand Pégase au sol, Andromède courut dans sa direction pour lui venir en aide alors même que d'autres balles résonnaient dans la pièce. Une emprise la retint fermement par les hanches, l'empêchant d'aller vers l'avant. La ténébreuse se sentit quitter terre, portée par cette personne qui entravait ses mouvements.

— LÂCHE-MOI ! IL VA MOURIR !

— Il a reçu quatre balles dans l'abdomen, rétorqua tristement Tenma en courant vers la sortie. Il est déjà mort.

Yuna cessa de se débattre, le regard perdu dans les méandres de la culpabilité. Elle l'avait senti. Elle se doutait que quelque chose allait mal se passer. Alors pourquoi avait-elle tant que ça tenu à maintenir cette foutue mission ? Elle était la seule responsable. Elle avait refusé d'écouter son instinct et maintenant Azamu était mort. Tout était entièrement sa faute.

Une masse bougea à l'étage et Yuna leva instinctivement la tête. Ses saphirs captèrent la silhouette du tireur, réveillant en elle une folie meurtrière. Elle hurlait et se débattait comme une diablesse pour se défaire de l'emprise de Tenma qui n'était pas décidé à céder. Ses yeux devenus noirs ne désiraient plus que donner la mort à cette personne qui se cachait dans l'ombre.

Elle perdit soudain toute vitalité alors qu'une douleur intense irradiait le haut de son crâne. Elle lutta pour ne pas perdre la silhouette de son champ de vision, mais les abysses de l'inconscient finirent par l'engloutir.

— Désolé, murmura froidement Tenma. Je peux pas te laisser mourir toi aussi.

D'un commun accord, les trois hommes restants prirent la fuite sans un regard en arrière. L'heure n'était pas aux lamentations. Ils auraient tout leur temps pour pleurer la mort de leur ami une fois qu'ils seraient tous en sécurité, loin de ces balles déchaînées.

Pégase avait ce soir-làdéployé ses ailes vers les tréfonds de l'Enfer, laissant à Andromède la lourdetâche d'idéaliser cette Terre.

La Sentence Des Astres (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant