La Sentence Des Astres (Terminée)

Chapitre 54

Son âme jouait au funambule sur le fil qui séparait la vie de la mort, ne sachant pas encore de quel côté se laisser tomber alors que les coups irraisonnés d'Helhest s'abattaient encore sur Andromède. Soudain, elle perdit l'équilibre du côté sombre, se faisant lentement digérer par les ténèbres abyssales.

Yuna ne voyait ni n'entendait plus rien. Son corps flottait dans le néant.

Puis, une voix fluette vint interpeller sa conscience. Une voix qui se matérialisa presque instantanément en image. Elle semblait pleurer.

— Aide-moi.

L'esprit embrumée, Yuna ne comprenait pas ce qui se passait. Cet enfant face à elle lui rappelait quelqu'un mais elle ne parvenait pas à l'identifier. Elle jurerait pourtant l'avoir vu récemment.

— Aide-moi, Yuna.

Un halo de lumière enveloppa la jeune femme, la transportant dans un tout autre endroit. Lorsqu'elle fut de nouveau capable de voir, elle aperçut de nouveau cet enfant pleurnichant devant ce grand bâtiment.

Azamu...

Comment avait-elle pu l'oublier ? Cet enfant qu'elle avait devant elle, c'était le petit Azamu le jour où elle l'avait rencontré. À la seule différence que celui qu'elle avait connu ne pleurait jamais.

Alors pourquoi pleurait-il aujourd'hui ?

— Yuna. Aide-moi. Je ne veux pas être comme ça. Ce n'est pas moi. Pourquoi je suis devenu méchant ? Ce n'est pas moi.

La ténébreuse regarda tristement l'enfant geindre alors qu'elle ressentait une culpabilité sans nom.

C'est moi. C'est à cause de moi que tu es devenu comme ça. Je suis celle qui t'as transformé en un véritable monstre assoiffé de violence. Je ne voulais pas que ça se termine comme ça. Ça ne devait pas se terminer comme ça.

— AIDE-MOI !

La brune rouvrit les yeux brusquement sur le monde, la respiration saccadée, constatant face à elle la figure de son ami en proie à la folie. Il semblait être complètement aveuglé par la violence, ne discernant rien autour de lui. Et à en croire les nombreux coups qu'il donnait dans le vide, Yuna se demandait même s'il la voyait elle.

Comment j'ai pu oublier ? J'avais promis que je le tuerai. Je l'avais certes dit parce que je voulais me venger mais je devais aussi surtout le faire parce qu'il était devenu dangereux pour les autres, mais aussi et surtout pour lui-même.

Mais avait-elle encore seulement la force de se battre ? Son corps ne semblait plus vouloir lui obéir pour se relever. Alors parvenir à le frapper suffisamment fort avec son canif semblait impossible.

Une illumination lui vint lorsqu'elle entendit le bruit métallique qui cognait contre le sol alors que son corps était légèrement secoué par les coups de poing d'Azamu.

Son Glock. Il lui suffisait de s'en saisir, de retirer le cran de sécurité, de viser, et le tour était joué. Si elle ne manquait pas son coup, il ne devait pas souffrir, ou du moins pas très longtemps.

Il est hors de question qu'il souffre. Il a déjà bien trop souffert à cause de moi. Il faut que ça s'arrête là.

Animé d'une soudaine manifestation d'énergie, la dextre de la jeune femme s'empara de son revolver. Elle défit le cran de sécurité avant de coller le canon contre le front de sa plus vieille connaissance.

Azamu avait cessé de frapper et semblait enfin regarder la femme qui menaçait de mettre fin à ses jours. Mais il ne tenta pas de s'enfuir, se contentant de plonger une dernière fois ses hématites dans les saphirs de cette dernière, attendant le moment où sa cervelle exploserait sous le feu de la balle. Il semblait avoir compris que son heure était arrivée, que ce n'était plus qu'une question de temps avant que son âme n'entame sa longue ascendance vers les cieux.

Mais surtout, à le voir ainsi, il semblait à Yuna que son ancien ami avait temporairement regagné ses esprits. Il lui semblait qu'elle avait face à elle le gentil petit garçon qu'elle avait connu durant son enfance. Elle avait l'impression que la folie avait désertée son esprit pour prendre pleinement de ce dernier moment qui l'attendait.

La ténébreuse sentit son cœur se serrer alors que les larmes roulaient sur ses joues et que sa main tremblait sans pouvoir appuyer sur la queue de détente. Pourquoi ne pouvait-elle pas tirer ? Pourquoi se sentait-elle soudain aussi faibles face à ses hématites meurtries ?

— Fais-le, Yuna, articula le blond d'une voix calme et distinctes.

Yuna le gratifia d'un demi sourire, ses agates se brouillant entièrement d'eau de peine.

— Je suis désolée pour tout, Azamu.

Elle pressa la détente sans aucun autre mot. La balle transperça le crâne du blond dont les yeux s'étaient presque instantanément vidés de toute lueur de vie. Le corps d'Azamu tomba sur le côté, laissant enfin à Yuna le loisir de se redresser.

Mais au lieu de ça, la ténébreuse resta étendue sur le sol, fixant le ciel bleu et les quelques petits nuages qui dansaient au-dessus d'elle.

Normalement dans ce genre de situation, il est censé pleuvoir des trombes d'eau. Dans les films, le ciel partage toujours la peine des personnages.

La jeune femme esquissa un faible sourire triste avant d'enfin se redresser. La douleur de son corps se réveilla et la fit grimacer. Elle consulta l'heure sur sa montre avant de soupirer.

— Midi treize. Si je cours je devrais être là-bas en cinq minutes. Mais est-ce que j'en suis seulement capable ?

Yuna se releva hasardeusement, titubant légèrement une fois sur ses jambes. Bien que la douleur était particulièrement aiguë, elle était soulagée de constater que ses différents saignements avaient cessé.

Sans qu'elle ne sache trop pourquoi, ses orbes se posèrent sur le cadavre ensanglanté de son ancien ami. À la vue de la tête complètement explosée de ce dernier, Yuna sentit son estomac se retourner. Elle tomba à genoux au sol, rendant toute la bile qu'elle pouvait, les larmes dévalant ses joues légèrement tuméfiées.

Cette fois, elle ne vomissait pas par peur, non. Il y avait bien longtemps que la peur de mourir avait déserté son esprit. Elle vomissait entièrement de dégoût face à ce crime qui était de loin le plus odieux qu'elle n'eût jamais commis. Cet assassinat était à la fois son premier et son dernier dans la chronologie de son palmarès. Ce n'était pas un crime comme les autres qui n'avait duré que quelques minutes, non. Elle avait osé tuer la psychologie de sa victime sur le long terme avant d'enfin se débarrasser de son corps.

C'était un horrible meurtre long de plus de dix-huit ans.

Yuna abandonna l'idée de se relever pour le moment, elle n'en avait de toute façon ni la force ni l'envie. Elle demeura un instant allongée sur le sol, immobile, à regarder les nuages défiler dans le ciel hivernal. Ses paupières menacèrent de se fermer quand un bruit anormal à ses côtés la fit sursauter.

— Toujours pas morte à ce que je vois, cet incapable n'est finalement pas parvenu à avoir ta peau.

Lorsqu'elle reconnut cette voix, le corps de Yuna se figea tandis que son cœur accéléra.