20. C'est pour cette raison que je suis célib

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- Je voudrais pas vivre ici, annonça abruptement Ethan.

- Je te jure, si tu commences encore à te plaindre, je t'enfonce ma chaussure dans le nez, déclara Romy en levant les yeux au ciel.

- Cette menace sonnait vachement creux.

- Une démonstration l'accréditerait-elle ?

- Non merci, sans façon.

En disant cela, Ethan se heurta contre une marche et trébucha violemment en avant, provoquant l'hilarité de notre groupe et la chute de sa crédibilité. Les élèves qui passaient par là nous coulèrent des regards amusés voire sceptiques, pourtant aucun d'eux n'osa élever la voix pour nous gracier d'un commentaire de leur part. Nous grimpâmes sans plus tarder les marches qui menaient à l'étage normalement réservé aux grandes occasions, où nous avions cours de soutien pour Porteurs deux fois par semaine. Je pouvais presque sentir leurs regards insistants braqués sur nous, entendre les murmures qui se propageaient comme une traînée de poudre. Enfin, je commençais à m'accoutumer à cette attention ; bien que je ne l'appréciais toujours pas pour autant, deux semaines s'étaient écoulées depuis notre révélation. Dès lors, les choses avaient changé pour nous à l'Académie. Les professeurs insistaient à présent sur notre participation active en cours, on attendaient de nous qu'on apprenne les leçons et d'écrire des comptes rendus à la fin de chaque semaine. Finies, les contemplations paresseuses du ciel quand je n'étais pas d'humeur à écouter. Malgré l'accélération de notre rythme d'apprentissage, je m'acclimatais du mieux que je le pouvais. Nous obtempérions sans trop broncher, en espérant que nos efforts soient soldés par un retour précoce à la maison. Les élèves paraissaient se réjouir de la situation. En dépit de l'adulation incommodante, je ne pouvais faire abstraction de la bienveillance avec laquelle ils nous traitaient. De loin, leurs œillades obstinées ne faisaient que provoquer ma gêne et mon agacement, pourtant ils étaient toujours prêts à nous décocher un sourire timide ou rendre un service.

Nous escaladâmes le restant des marches en silence, nous préparant mentalement au cours qui allait suivre. Depuis cette même révélation, nos cours de soutien pour Porteurs paumés avaient redoublé de difficultés. Magrien ne me laissait même plus le temps pour poser des questions, nous passions les quatre heures qui nous étaient consacrés à travailler et perfectionner les techniques déjà acquises. Mon prof avait même parlé d'ajouter des leçons supplémentaires durant les pauses méridiennes, mais mes protestations l'avaient pour l'instant empêché de concrétiser son idée.

Nous arrivâmes au quatrième et nous dirigeâmes vers nos portes respectives. Avant d'entrer, nous nous regardâmes en portant nos doigts à nos tempes, en mode salut militaire, notre nouveau rituel.

- Tâchez de revenir vivants, soldats, déclara Nils. Rompez !

Sur cette note positive, nous pénétrâmes dans nos salles de cours en refermant la porte derrière nous.

Pour ma part, ma leçon quotidienne avec Magrien était de loin celle que je préférais. J'avais l'impression d'être dans mon élément, comme si ma Clé prenait en compte mes efforts et se décidait de temps en temps à collaborer, contrairement aux autres matières qu'on m'avait imposé où je devais me contenter d'écouter pour comprendre par moi-même. Magrien se montrait patient, bien qu'il ne s'était toujours pas délesté de son éternelle mélancolie. Même je n'avais pas encore atteint mon fameux palier avec mon poignard, mon professeur demeurait satisfait de mon niveau au corps-à-corps. Néanmoins, je me débrouillais encore mieux quand il s'agissait de me transformer en fantôme. En somme, je commençai à assumer progressivement mon apprentissage de Porteuse.

Magrien m'attendait comme toujours assis sur un des deux fauteuils en velours rouge. Cette fois, il fixait la fenêtre d'un air morose, figé sur sa chaise. Ses mains tremblaient légèrement sur les accoudoirs. Normalement, quand on voit un truc comme ça, on croit à un poltergeist, mais j'avais fini par m'habituer à sa constante attitude maussade.

La Clé de MarsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant