23. Conversations profondes avec moi-même

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Il s'avéra que Melganar n'était pas entièrement composée de gratte-ciel ou de bâtiments administratifs. Les Martiens avaient su se rattraper après l'oubli de chocolat, précisément en ajoutant quelques cafés et bars dans la Haute Rue.

Après notre sortie du labyrinthe de malheur, on nous avait fait patienter pendant une demi-heure dans une sorte de salle d'attente, à l'arrière du building renversé. Aucun de nous avait eu l'envie et l'assurance ne partager sa version de l'histoire, du moins pas temps qu'on se trouvait encore à proximité de ces catacombes. Les mots restaient coincés dans ma gorge et se volatilisaient avant même d'être exprimés à voix haut. Finalement, après une durée qui m'était parue interminable, le directeur et les accompagnants étaient venus nous chercher, pourvus de transillules. Le trajet fut aussi silencieux qu'à l'allée, pour des raisons différentes. Personne ne nous adressa la parole ni s'enquit de notre expérience. Tant mieux : je ne désirais pas tergiverser pour esquiver leurs questions intrusives avant d'avoir digéré les événements.

Quand je vis enfin les bordures de Melganar, un étrange sentiment de soulagement m'envahit et détendit mes membres crispés.

Je m'apaisai lorsque nous franchîmes la lisière de la ville. Ironiquement, les gratte-ciel et les ombres provoquées par le Mexpress qui m'avaient tant impressionnée lors de ma première arrivée me conférèrent le réconfort nécessaire pour affronter le reste de la journée. Je détournai le regard de la vitre. J'avais l'impression que cette confession m'avait été arrachée de l'antre où se terraient toutes mes pensées inavouables. Je ne me sentais toujours pas prête à affronter les effroyables visions, les horripilantes illusions que m'incombait ce rôle de Porteuse, ni les représailles ou les responsabilités dont parlait Magrien accompagnant ce titre. Pourtant, je ne pouvais plus nier me plaire sur Mars. Je ne pouvais pas renier l'émerveillement, l'adhésion, l'affiliation que m'instillait cette ville que j'avais désormais appris à connaître et à apprécier pour ses uniques coutumes. Si chaque planète, chaque voyage me comblaient ainsi, il me serait peut-être plus facile d'accepter la mission qui m'avait été imposée, avec suffisamment de temps et de patience.

La fumée qui s'échappait de ma drôle de tasse me caressait les narines. J'avais les yeux rivée sur le récipient brûlant, voyant en lui un potentiel casse-tête. Sa fonction principale s'apparentait à celle d'un mug, mais son aspect portait plus à croire qu'il s'agissait d'une théière. Le cylindre n'avait pour ouverture qu'une petite fente d'où sortait une sorte de paille de la même matière que la tasse, seul outil propice à la consommation du liquide que contenait l'étrange récipient. Cela dit, la vraie question demeurait celle de parvenir à glisser une boisson dans la tasse, car je n'apercevais aucune ouverture prévue à cet escient.

- Cette tasse n'a aucun sens, déclara Ethan avant d'enfoncer la paille dans sa bouche et aspirer une gorgée. C'est quoi, ce truc ?

- C'est de l'orithime, excellent pour calmer les nerfs, expliqua Migaël.

Ethan fit les gros yeux puis but une nouvelle gorgée en ingérant bruyamment sa boisson fumante.

- La forme de la tasse permet de contenir la chaleur à l'intérieur, ajouta-t-il.

- Cette incroyable invention atteste vraiment votre supériorité intellectuelle, taquina Romy.

La terrasse de notre café qui surplombait la Haute Rue donnait sur les autres magasins qui bordaient l'avenue commerciale de Melganar. Les gens faisaient du lèche-vitrine, sortaient des boutiques avec des tonnes de paquets sous les bras ou avec des coiffures encore plus complexes que celles avec lesquelles ils étaient entrés. Ici, la certitude que les habitants de Mars ne se préoccupaient que de leur travail, à savoir garder en équilibre le Système solaire, était remise en doute. Sûrement mon endroit préféré de la ville, pour cette raison précise. 

La Clé de MarsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant