15. Je prends le thé avec un Représentant

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Le bruit que provoquaient mes semelles en fer sur le sol astiqué du couloir résonnait à des kilomètres à la ronde. Je courais aussi vite que je le pouvais, du moins aussi vite que mon inconfortable uniforme me le permettait, vers la pièce au bout du corridor. Les parois du couloir vide et les portes fermés réverbèrent l'écho de mon souffle saccadé. On se demande peut-être pourquoi j'étais la seule cassos qui n'était pas encore sagement installée derrière son bureau, comme tous les autres. La réponse était aussi simple que débile : mon réveil n'avait pas sonné. Enfin, disons que je l'avais empêché de sonner. Mon tabelot était censé occuper cette fonction, comme il l'avait fait le matin précédent, en projetant vivement mon emploi du temps. Oublié comme il était dans ma sacoche opaque, il lui avait été compliqué d'accomplir sa mission. Les rayons du soleil qui me chatouillaient le visage en passant par la fenêtre avaient fini par me tirer de mon sommeil. Avec mes vingts minutes de retard, je n'aurais pas eu le temps de prendre mon petit déjeuner si je n'avais pas découvert un sandwich emballé dans un bout de métal sur le seuil de ma porte.

Consultant mon tabelot en m'arrêtant devant la porte de ma classe, j'appris avec regret que les deux heures qui suivaient allaient être riche en paroles sages et barbantes. Et pour cause, j'avais cours de stratégie militaire. À nouveau, l'utilité de cette matière m'échappait. J'inspirai un grand coup avant de baisser la poignée de la porte, essoufflée et indiscrète. La pièce était identique à la classe dans laquelle j'avais suivi le cours d'étude planétaire la veille, de la disposition des bureaux jusqu'à la couleur blanche des murs. Une vingtaine d'élèves et une professeure tournèrent la tête vers moi. Au vu de la mine contrariée de cette dernière, je me rendis compte qu'il aurait été plus avisé de toquer avant d'entrer, ou sécher le cours d'emblée. Yannick, Ethan et Lina étaient assis du côté des fenêtres, au fond de la classe. La chaise près de la brune était vide. Je m'y faufilai dès que l'enseignante estima la situation assez gênante pour poursuivre son cours, à la grande satisfaction des autres élèves. Mes amis semblaient les seuls ravis que le cours soit un peu animé.

- Je vous prieriez de venir à l'heure, la prochaine fois, claqua la voix de la professeure.

Ses yeux de renard étaient plantés dans les miens, ses lèvres retroussés. La petite femme me fusilla du regard, mais ne me permit pas d'interrompre une nouvelle fois son cours. Je remarquai Migaël au premier rang, le regard comme ficelé au tableau. Il m'adressa un rapide sourire puis retrouva son visage fermé. J'appuyai ma tête sur ma paume et regardai par la fenêtre qui couvrait le mur à ma droite.

Le ciel rougeâtre était constellé de traînées roses. Si j'écoutais en cours, je comprendrais sûrement pourquoi. Deux filles gambadaient depuis les dortoirs, bavardant et riant tranquillement. Leurs cheveux étaient tordus en une coiffure complexe, une couronne de tresses avec des mèches bouclées qui pendaient à l'arrière, piquées de petites pierres étincelantes. Je détachai mon regard des jeunes filles pour le diriger vers les petits nuages de poussière. À part les masses nuageuses, l'étendue rouge demeurait parfaite, rien ne venait troubler l'éclat auburn du ciel. D'habitude, il était recouvert de gros nuages pluvieux ou strié de traces d'avion. Il manquait aussi le bourdonnements des moteurs, les sirènes des ambulances, les bribes de conversation des passants. Mon cœur se serra légèrement. Je commençai à devenir nostalgique. Merveilleux.

Je tournai la tête, déterminée à penser à autre chose. Des deux cours que j'avais aujourd'hui, celui de stratégie était probablement le moins important. En revanche, la leçon de cette après-midi avec Magrien s'annonçait plus intéressante. Je m'étais résolue à lui poser mes questions. Livaïna et plus de détails sur ma Clé se tenaient en tête de liste.

- Qu'est-ce qui t'es arrivé ce matin ? me demanda Lina en me tirant de mes réflexions.

- À ton avis ?

La Clé de MarsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant