Pour ce chapitre, je vous conseille d'écouter Promise Not to fall de Human Touch :)
___________________________________Quelques jours se sont écoulés depuis cette fameuse soirée. J'ai précieusement évité de répondre à tous les messages de Luke durant tout ce temps. J'avais besoin de temps pour digérer toute cette superposition d'informations confuses.
Étonnamment, je n'ai pas tant « souffert » d'avoir été claire avec lui ce soir-là. Du moins, à proprement parler. J'ai à peine pleuré, ces derniers jours. Je pense qu'inconsciemment j'avais déjà fait le deuil de la relation. De notre relation. La lassitude et la déception de nos conflits ont saboté mon amour pour lui de façon progressive.
J'ai sûrement été un peu cruelle avec lui dans mes paroles, mais, si je n'avais pas fait preuve de fermeté, il se serait accroché au moindre espoir qu'il pourrait trouver, y compris une hésitation de ma part. Cela incluait donc ne pas répondre à ses messages et, pour ma santé mentale personnelle, ne tout simplement pas les lire.
Enfin, ce matin je me réveillais avec une nuit courte de plus au compteur, n'ayant réussi à m'endormir que quelques heures.
La faute à qui ? L'homme sans visage.
Et oui, encore lui. Toujours lui.C'est pourquoi je me retourne maintenant à devoir me battre pour rester éveillée dans le couloir menant à mon premier cours de la journée. Une fois arrivée à niveau de la salle indiquée, je laisse ma tête reposer contre le mur adjacent. J'ai cinq bonnes minutes devant moi. Juste assez pour une sieste.
Hmmm... non.
Je me résigne à abandonner l'idée, de peur que ça n'engraine davantage ma profonde somnolence. Il vaut mieux éviter de tenter le diable ; si on me retrouve endormie contre le mur, je risque un nouvel avertissement. En clair, je peux oublier ma sieste matinale.
Je laisse échapper un petit soupir avant de m'attarder sur la foule d'étudiants pressés déambulant dans le couloir. C'est drôle de remarquer qu'à défaut de l'unanimité de leurs statuts dans ces bâtiments, ils ont tous une façon de marcher bien singulière. Certains avancent d'un pas pressé, la tête décollée des épaules, le regard franc et décide, d'autres ont une posture recroquevillée, maladroite, le menton collé à leur torse et les brèves œillades fuyantes. Certains avancent presque à reculons, reviennent sur leurs pas, s'interrompent un instant pour prendre connaissance de l'endroit où ils se trouvent, avant de vérifier leur emploi du temps sur leur téléphone. Un autre retient un long soupir, replace ses lunettes contre son nez, avance sans conviction tout en appuyant incessamment sur le bouton « suivant » de sa playlist.
Ils se distinguent tous dans leur singularité.
J'ai toujours adoré observé les gens. Petite, lorsque le trafic s'annonçait bouché et que ma mère jurait face aux raccourcis proposés par le GPS, je me réjouissais à l'idée d'être à l'arrêt. Le glissement des secondes, interminable pour ma mère, était un véritable cadeau à mes yeux. Je devenais ainsi la voisine d'inconnus, le temps d'un embouteillage. Une fois arrêtée, je les sondais un à un avec intérêt, en prenant le temps de visualiser la vie, les rêves, la profession, et le secret de chacun. Le père était chirurgien et avait une urgence au bloc, mais avait dû entre-temps récupérer ses enfants à l'école, d'où son empressement. Une femme fumait paisiblement à sa rentrée, profitant de cet instant de répit pour s'en griller une et expirer par sa bouche tous les non-dits. Des enfants se chamaillaient pour choisir le prochain DVD à visionner sur le lecteur ; quand d'autres baissaient la tête, abattus, en réalisant qu'ils étaient en route pour l'enterrement de leur grand-mère.
J'aimais analyser, idéaliser, fantasmer les vies multiples de chaque inconnu. En plus de faire passer le temps, cela permettait à mon imagination de s'exprimer pleinement. Le plus piquant, dans ce monde interne que je m'étais créé, c'est qu'il ne trouverait jamais validité. Je ne connaîtrais jamais l'identité, ni le quotidien de tous ceux dont je croisais le regard. Je devais me contenter, me limiter, à la simple projection de ma pensée sur leur réalité.
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Buried in lies
RomanceJody ne rêve que d'une chose : connaître son père. Toutefois, entre le mutisme de sa mère à son sujet et l'absence de toute trace d'existence de ce dernier, elle commence à perdre espoir. Prisonnière de son ignorance, Jody nourrit désormais des do...