Chapitre 17

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Albert versa du thé dans les tasses de porcelaine destinées aux deux médiums. De la vapeur au parfum floral embauma la pièce, et apaisa les sens de la jeune empathe. Un bon thé ne faisait jamais de mal, surtout en période de grande réflexion.

Sur la table basse, aux côtés des tasses ornées aussi exagérément que le reste de la pièce à vivre se déployait des feuilles de papier vierges, des schémas, des listes de suspects, des noms tantôt entourés là et tantôt raturés par ici.

Élisa et Li avaient tenté de rationaliser les évènements au maximum, sans parvenir à mettre le doigt sur un seul indice, ou sur un seul suspect viable avec un mobile et les moyens de commettre le crime en même temps.

— C'est fou, souffla-t-elle en prenant sa tasse de thé. Je savais qu'un meurtre allait se dérouler, et je n'ai fait qu'être surprise toute la journée. Le tueur est parvenu à se défaire de moi alors qu'on devait être qu'à trois centimètres de l'un l'autre. J'ai beau réfléchir, mais rien ne fait sens. J'ai l'impression de jouer à un jeu sans en connaître les règles.

— C'est la meilleure image que tu aurais pu choisir pour les plongeons, ajouta Li, sa tasse de thé déjà descendue de moitié. C'est pour ça que les plongeurs peuvent recommencer quatre fois ; un jeu se doit d'être le plus juste possible. Tu as déjà joué au Mao ?

— Ma... O ?

Elle secoua la tête, ne voyant pas de quoi Li voulait parler.

— C'est un jeu qui fonctionne à peu près comme un Uno : le but est de se débarrasser de toute ses cartes. La particularité de ce jeu, c'est que les règles ne sont pas expliquées. Elles doivent être découvertes. Le plus excitant est de voir de nouveaux joueurs s'essayer au Mao, et qui, au fur et à mesure des parties, deviennent incollables. C'est un jeu très apprécié dans mon école.

Pas étonnant qu'elle ne sache pas ce que c'est. Les jeux de société, c'était pour les personnes un minimum entouré. Elle voyait mal sa mère et une de ses domestiques la solliciter pour une partie de loup-garou.

Li grimaça. La pitié lui avait façonné le visage.

Il devait avoir entendu sa pensée. Il ne la releva pas, cependant.

— Ce que je cherche à dire, c'est que pour gagner dans ce jeu, il est nécessaire d'essayer plusieurs parties, de tomber dans des pièges, d'élaborer des théories et de ne pas abandonner. C'est pareil avec ton expérience dans les abysses.

— Je comprends ce que tu veux me dire. Je dois me confronter à plusieurs situations différentes pour déduire les règles de l'Île-aux-Fleurs.

— C'est exact. Les pièces d'un jeu d'échecs peuvent bouger dans des combinaisons infinies, mais toujours selon des règles spécifiques à chacune des pièces.

Il n'y avait donc qu'une chose à faire.

— Je dois plonger une nouvelle fois et revivre ça.

Élisa descendit son thé d'une traite. Elle remarqua que la main tenant l'anse tremblait beaucoup plus que ce qu'elle aurait souhaité.

Elle savait qu'elle devait retourner dans les abysses. Les indices emmagasinés jusqu'alors n'étaient pas suffisants pour incriminer qui que ce soit. Pourtant...

— C'était un cauchemar. Il faut vraiment que je vive encore ça ? Ces graphiques et ces dessins et ces paragraphes d'hypothèses ne peuvent-ils pas être suffisants ?

— Tu sais très bien que la réponse est non. Personne n'apprend toutes les règles du Mao dès la première partie.

Elle devait y retourner. La preuve qui innocenterait sa mère s'y trouvait. Mais en même temps... Elle voulait débrancher l'aiguille qui lui donnait des nutriments pour s'enfuir et tenter d'oublier cette journée de malheur. Elle devait y aller. Elle ne voulait pas y aller. Elle devait y aller. Elle ne voulait pas y aller. Elle devait y aller. Elle ne voulait pas y aller. Elle devait y aller. Elle ne voulait pas y aller. Elle...

Nos dernières heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant