Chapitre 27

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Benoît, le manteau volant au vent et la main posée sur son chapeau qui manquait de s'envoler contemplait la façade d'une maison en plein cœur du centre-ville de Toulouse.

Un grillage le dominant de trois mètres bloquait l'accès à un jardin aménagé avec délice et à une charmante petite maison, qui devait coûter une fortune.

Rien de ce qu'il pourrait s'offrir dans toute sa carrière de détective privée. Il en était au point où il ferait sauter le champagne si on lui annonçait qu'il aurait droit à plus de trois mois de salaire sur sa retraite.

Il avait pris rendez-vous avec l'un des avocats les plus célèbres, les plus fortunés, et les plus controversés de sa région : Charles Montval.

Cet homme était une légende absolue. Il avait réussi à faire acquitter des meurtriers et à garantir des verdicts en faveur des accusés.

Il avait notamment été au centre du tourbillon médiatique que fut l'affaire Anatidae contre Verr'Indus.

Benoît sonna et attendit un gardien (parce que c'était sûr que ce serait un gardien qui lui ouvrirait la porte). Ils ne devraient pas tarder. Son rendez-vous devait commencer dans à peine cinq minutes.

L'affaire Verr'Indus avait explosé peu avant l'annonce de la mort des Duveyrier, la famille propriétaire de l'entreprise Anatidae.

Les fans de conspiration avaient toujours souligné le lien entre l'inéluctable faillite du géant français, et la mise à mort des fondateurs. Il y aurait des coups montés, des affaires d'héritage et de succession, et des trahisons amoureuses.

— Peuh, s'exclama Benoît. On se croirait dans une télénovela.

Un gardien s'avança vers le portail, lui fit confirmer son identité, puis lui ouvrit enfin les portes de ce palace payé par le sang impuni des innocents.

Pire qu'un mafieux, ce Montval.

Il se laissa conduire de la terrasse au vestibule, et du vestibule au salon.

Là se trouvait le retraité à la barbe parfaitement taillée, et au pull sans aucune peluche. Quand il l'aperçut, il se leva et lui serra la main. Des rides pattes d'oie avaient taillé le vieil homme. C'était le signe d'un passé chaleureux et plein de bonheur, bien que l'on pût les interpréter comme un signe d'un homme usant de charisme pour embarquer les autres à suivre ses arguments.

Oui, Benoît n'aimait pas forcément les avocats. Ça devait se voir.

— Installez-vous, mon cher. Merci de m'avoir contacté. Ça fait maintenant belle lurette que je n'avais pas pu profiter de la visite d'un invité souriant.

Pas étonnant, sachant qu'il devait avoir accumulé plus d'ennemis que d'amis.

Les deux hommes s'assirent, et presque aussitôt, des serveurs déposèrent du thé sur la table.

La rapidité du service était inégalée.

— Je vais être rapide. Vous étiez le chien de garde des Duveyrier, n'est-ce pas ? Vous avez sans problème pris le rôle d'avocat dans l'affaire du sabotage de Verr'Indus. C'est dommage que ce soit fini dans un « boum ».

Il mima une explosion avec les doigts avant de continuer :

— J'aurais bien voulu savoir si Charles Montval, le plus légendaire des avocats d'Occitanie, aurait pu échouer pour la première fois depuis son histoire ! Avec toutes les preuves en leur défaveur, ça aurait été un bon divertissement de vous voir galérer. Mais le procès n'a jamais eu lieu. Ça vous arrange, ce mystérieux incendie, n'est-ce pas ? Ne vous seriez-vous pas, par hasard, faufilé dans l'île pour empêcher les Duveyrier de ternir votre précieuse carrière ?

Charles, loin de se sentir offensé par le ton agressif de l'homme, étira ses lèvres de part et d'autre de ses oreilles.

— Ça aurait été un beau mobile. Et je vous le dis franchement : dans un autre univers ne différant rien que de quelques nanomètres du nôtre, j'aurai probablement tué.

Il le disait sans aucune honte.

— Mais je digresse. Ce n'est pas la raison pour laquelle je suis venu dans ta luxueuse demeure. En fait, je suis ici en mission. Et tu as probablement la réponse à ma quête. Après tout, en tant qu'avocat privilégié de la famille, tu connaissais bien les Duveyrier. Voir très bien. Qui est Élisa Duveyrier ?

— Élisa ? J'ai bien connu les membres de cette charmante famille. Mais une « Élisa » ? Je n'en ai jamais entendu parler. Qui est-ce ?

Et voilà qu'on lui retournait la question. Il était l'enquêteur ici ou pas ?

— Cette femme possède les secrets de cette famille. Je la retrouve, et je découvre ce qu'il s'est passé ce fichu jour de printemps. Certaines personnes détesteraient qu'elle révèle au monde la vérité, alors j'essaie de la retrouver avant qu'elle le fasse.

— Je ne peux vraiment pas vous aider. J'ignore qui est cette femme.

Benoît s'inclina vers lui, les deux mains jointes devant sa bouche.

— Allez, vous n'avez pas envie de savoir aussi ? Qui est la personne qui vous a dérobé la vie de votre fils ? Si vous coopérez, je ferais en sorte de vous transférer les informations que je trouve.

Il se mordit la lèvre et devint grave à la mention de son fils, Henri-Charles Montval.

— Henri... Il était parti en stage. C'était sa première mission. Il était si naïf sur le contenu de ce métier, alors j'ai voulu lui donner un électrochoc chez mon meilleur client afin qu'il comprenne de lui-même que le monde n'était pas aussi rose qu'il l'espérait. Je crois que la leçon n'a été que trop bien retenue.

— Vous avez perdu votre fils unique. Je comprends la peine immense que vous pouvez ressentir. Il était votre seule famille.

En fait, il ne comprenait pas vraiment les émotions de ce sale riche. Pour compatir avec lui, Benoît devait faire la comparaison avec la mort de son chat.

— Il est vrai que mon deuil est chronique. Même avec un petit fils qui a vécu la même perte, je ne parviens pas à surmonter la douleur.

Attendez une minute... Qu'est-ce qu'il avait entendu ?

— Petit fils ? Voulez-vous dire qu'Henri-Charles avait un fils ? Mais Pervenche, sa fiancée n'a jamais accouché !

— Ah, mais vous savez... Aussi naïf qu'un homme puisse être, il faut être un saint pour résister au charme d'une beauté exotique travaillant constamment à ses côtés.

Le fruit d'un adultère, hein ? Intéressant.

— Je ne l'ai jamais compris.

— Qui ?

— Je parle de mon petit fils. Il a toujours été extravagant, et très perceptif. Un jour, il m'a dit qu'il voulait retrouver le meurtrier de son père pour le torturer éternellement. Vous imaginez, un gosse qui vous raconte ça ? Moi qui voulais retrouver la seule trace qu'Henri-Charles avait laissée dans ce monde, je me retrouvais avec une énigme, un labyrinthe incompréhensible. Ça ne m'étonnerait pas que tout ce bruit vienne de lui.

— Quel bruit ?

Charles attrapa une tasse de thé et s'enfonça dans ses moelleux coussins.

— Vous êtes détective. À vous de trouver.

Il réfléchit.

Henri Charles aurait un enfant ? Et si le « bruit » venait de lui, alors...

La solution lui éclaira l'esprit d'un coup. Pris d'une inspiration presque divine, il se leva.

C'était donc lui, son commanditaire ?

Nos dernières heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant