Chapitre 37

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Amelia posa ses doigts sur le cuivre vieilli de la porte devant laquelle elles se trouvaient.

— Je vais finir par avoir une overdose de vieilles portes en cuivre, marmonna Clementine. Ça va finir par devenir un déclencheur ce truc... Chaque fois que je vais en voir ça va me rappeler le traumatisme de cette mission...

— M'en parle pas...

La sergent leva les yeux au ciel en voyant l'échange entre les deux filles, mais ne put empêcher un nœud de naître dans sa gorge. Elle poussa la porte pour masquer son malaise.

Derrière se trouvait un salon des plus classiques : canapé, table basse, armoires rangées au carré.

— Jusque là, tout va bien... J'espère qu'il n'y aura pas de monstre qui va débarquer de sous le canapé...

— Quoi, parce que t'as peur des monstres ?

— Quand lesdits monstres sont des chimères, oui.

Clementine ne répondit rien, son sourire malicieux s'effaçant de son visage pour laisser place à une expression désolée.

— Je n'ai pas besoin de ta pitié, asséna Eleanor.

Son visage teinté d'une expression révoltée et indignée fit sourire Clementine tandis qu'elle allait s'asseoir sur le canapé en posant ses pieds sur la table.

— Tant mieux, parce que tu n'en as pas besoin.

Eleanor ouvrit la bouche pour sortir une réplique quand Amelia la prit de court :

— La Grande Transmutation... c'est une ancienne légende. Pour être plus exacte, c'est un récit mythique.

— Comment le savez-vous ?

Amelia brandit un livre. Pendant qu'Eleanor et Clementine s'adonnaient à leur discussion, elle avait cherché dans les armoires n'importe quel indice qui pouvait les aider. Elle était tombée sur le seul livre de l'armoire, Contes et légendes d'une ancienne terre.

— Je l'ai feuilleté. Je pensais que j'allais découvrir plus par rapport aux homoncules, mais je me trompais.

— Qu'avez-vous lu ?

Clementine se redressa, toute son attention accaparée par l'ouvrage qu'Amelia tenait.

— Êtes-vous familières avec le christianisme ?

— L'ancienne religion du pays ? Non, pas vraiment...

— La Grande Transmutation reprend un de ses sujets : le Déluge, soit la destruction de l'humanité. Dans les grandes lignes, cette destruction a été provoquée par Dieu après que les humains, Adam et Ève, qu'il avaient créés dans le jardin d'Éden le trahissent en mangeant le fruit maudit de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Ils ont été expulsés du paradis sur Terre. Les hommes qui ont suivis ont été détestables. C'est pour cela que Dieu a provoqué ce Déluge. Le principe de la Grande Transmutation repose apparemment sur ce mythe : la purification et la destruction des humains. Elle est aussi appelée la Grande Purge...

Son discours eut pour réponse un silence pesant. Eleanor et Clementine s'entre-regardaient.

— Donc le but de la Grande Transmutation c'est... purifier la population avec une transmutation ? Comment est-ce possible ?

Amelia secoua négativement la tête.

— Je l'ignore. Cependant, dans toute transmutation, il faut des ingrédients et des produits. ‹‹ Rien ne perd, rien ne se perd, tout se transforme ››. C'est l'échange équivalent, le principe même de l'alchimie.

Clementine se leva pour s'approcher de la sergent.

— Je peux ?

— Bien sûr, vas-y.

La mécanicienne sourit et prit le livre entre ses mains et retourna s'asseoir sur le canapé à côté d'Eleanor. Elle l'ouvrit délicatement et commença à tourner les pages jusqu'à tomber sur ce dont Amelia parlait : le récit de la Grande Transmutation. Il était effectivement lié à plusieurs théories catastrophistes, dont le Déluge.

— L'Arche de Noé ?

— Dieu a décidé d'épargner un homme droit et sa famille. Il lui a demandé de sauver les animaux et les a emmenés dans un grand bateau.

— Je vois... Et si la Purge était fondée sur le même principe ? Que certains hommes doivent être sauvés et d'autres non ?

Amelia plissa les yeux. Elle commençait à comprendre le cheminement de la mécanicienne.

— Tu penses donc que...

Elle s'interrompit, comme si les prochains mots allaient lui arracher la gorge.

— Que... certains hommes seront... les ingrédients... ?

— C'est... tout à fait possible...

La voix de Clementine baissa d'un coup. Eleanor frémit.

— Comment ça, les ingrédients ? Je pensais que la transmutation humaine était interdite...

— Ils ont déjà réalisé des homoncules. Je pense qu'ils ne sont plus à ça près.

— D'autant plus que nos ennemis sont les dirigeants du pays. Eux n'ont jamais eu aucun scrupule à enfreindre les règles, même les leurs.

Eleanor marmonna quelques mots inintelligibles dans sa barbe.

— Je n'arrive pas à y croire, souffla Amelia. Le but final des alchimistes était donc ça ? Détruire le peuple ? En former un nouveau ?

— Certainement pour continuer à s'étendre... Vous l'avez dit, la seule chose que le gouvernement cherche à présent, c'est imposer la vision de la Clé.

— C'est très certainement lié, oui... Sinon, je ne vois pas la raison pour laquelle réaliser cette transmutation. Faire le mal pour faire le mal, c'est puéril et stupide. Nous ne sommes pas dans un récit pour enfants. Non, ils ont une bonne raison, enfin bonne de leur point de vue, pour laquelle ils veulent faire transmutation, ce n'est pas possible autrement.

Clementine hocha lentement la tête.

— Quelle est la vision de la Clé ? intervint Eleanor. Je sais qu'elle ouvre à des secrets, mais... je sais pas lesquels.

— La Clé montre ce que tu veux voir... Elle ouvre à tes désirs cachés, même ceux les plus sombres.

— C'est la Clé qui leur a montré la voie à suivre ?

— Pas exactement non. Les alchimistes renégats que nous poursuivons ont été là depuis très longtemps. Le gouvernement les a manipulés et ralliés à leur cause. Je suppose que la Clé a terminé de convaincre le gouvernement : leurs rêves les plus fous sont à leur portée. C'est à nous qu'il incombe de les arrêter avant qu'il ne soit trop tard.

— Que faisons-nous alors ?

— Cap sur Noxmore. C'est là-bas que leur dernier espoir s'éteindra, en même temps que leurs vies.

Engrenages Sanglants I : Soldats De CuivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant