Chapitre 6

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Cela faisait plus d'une demi-heure qu'elles étaient enfermées, à en croire la montre à gousset de Clementine. Eleanor poussa un long soupir, allongée à même le sol, les yeux fixés sur le plafond bas. Clementine était assise non loin d'elle, sur un hamac, les jambes ramenées contre son torse.

—La confiance règne on dirait, ironisa Eleanor. J'ai pas l'impression qu'on ait la même définition de confiance, eux et nous...

— Ouais... Ça fait au moins cent fois que tu l'as répété mais je vais faire comme si j'avais pas remarqué, marmonna la mécanicienne.

— Oh ça va, hein ! J'ai autre chose à faire que rester enfermée ici.

— T'as qu'à dormir, y'a que ça à faire. Tu crois vraiment qu'on peut s'enfuir ? En face, c'est les soldats de Scarlett, c'est mort avant même d'y penser.

Clementine s'allongea complètement dans le hamac, tournant le dos à Eleanor qui se lit à pester dans sa barbe. Même si elle n'avait jamais rien eu à reprocher à l'armée, la méfiance qui commençait petit à petit à naitre au sein de la population avait envahi son coeur. Et les évènements de Bucklemore l'avaient confortée dans cet avis. Mais alors pourquoi Clementine se montrait aussi désinvolte ? Elle avait pourtant vu les mêmes choses qu'elle. Elle avait toujours vu la mécanicienne comme une personne assez sensible. Ferme, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds mais tout de même sensible. Elle pensait que la jeune femme était fragile, mais apparemment elle se trompait. Clementine était tout sauf faible et fragile. Forte tête, elle n'avait pas peur de parler. Espiègle et intrépide, c'était une personne presque hyperactive. Le passé qu'elle portait sur son dos la rendait plus puissante et lui permettait d'appréhender plus facilement les dangers sur sa route. Eleanor soupira longuement avant de se lever et se traîna sur un des hamacs qui entouraient la salle. Elle s'allongea, se roulant presque sur elle- même, les bras jambes repliées contre elle. En tendant l'oreille, elle pouvait entendre les discussions étouffées des soldats. Elle n'arrivait à capter que quelques mots, rien de bien grandiloquent. Elle poussa un long soupir et ferma les yeux, essayant de dormir.

Un homme vêtu d'un uniforme de lieutenant-colonel était debout sur la piste, sa longue cape volant dans l'air frais. Il accueillit la sergent Wilkincraft avec un léger sourire en la voyant sortir du zeppelin, accompagnée de sa sœur cadette et d'Eleanor et Clementine. La Chasseuse se débattait fougueusement, sous l'oeil noir de Madeline, qui la fixait avec un regard empli de dédain. Clementine, quant à elle, ne montrait pas son désaccord de manière aussi claire, mais la colère qui brillait au fond de ses yeux bleus était une preuve suffisante.

— Je suis le lieutenant-colonel Castleton, sourit l'homme quand le petit groupe arriva à sa hauteur. Je vous prie d'excuser mes hommes pour cette capture pour le moins brutale, ajouta le lieutenant-colonel en lançant un regard appuyé à Madeline. Cependant, la générale a requis votre présence, et ce le plus rapidement possible.

— Et c'est une raison pour agir d'une manière aussi radicale ?

— Je n'ai pas à m'excuser, grimaça Madeline. Cette femme n'est qu'une ennemie qui a empêché de mener notre mission à bien.

Theodor Castleton poussa un long soupir exaspéré en entendant les paroles de sa subordonnée. Madeline avait un fort caractère et avait une dévotion sans limites pour ses supérieurs et son travail, ce qui lui causait bien des problèmes/ En revanche, son aînée était une personne plus lucide et réfléchie, même si elle portait une confiance presque aveugle à sa générale.

— Je ne suis ni votre ennemie, ni votre alliée, d'ailleurs ! se récria Eleanor.

— Tu es notre ennemie si tu te dresses contre nous, répliqua Madeline en utilisant de nouveau un tutoiement méprisant. Et rêve pas trop, tu ne seras jamais une alliée.

— Madeline, la réprimanda sévèrement Amelia. Ce n'est pas le moment de nous diviser.

Clementine observait l'échange avec un œil perplexe et attentif. Elle avait deviné que quelque chose se tramait dans l'armée depuis qu'elle avait découvert ce cercle alchimique dans la cathédrale de Copperhelm. En tant que mécanicienne, elle n'avait que très peu de connaissances en alchimie, mais le peu qu'elle savait lui avait permis de se rendre compte qu'il ne s'agissait pas d'un cercle de transmutation normal et habituel. Elle en n'avait pas dit mot à propos de cela à Eleanor. La Chasseuse était trop pragmatique et réaliste pour accepter l'existence d'une science, qui selon elle, s'apparentait davantage à de la magie. La première fois qu'elle lui en avait parlé, Eleanor l'avait envoyée bouler, la traitant de rêveuse illusionnée. Elle avait finalement compris que c'était à cause de sa mère. Millicent Pennington était originaire de Cindervale, la même ville de Clementine, là où l'alchimie régnait en maître. Sa mère avait appris à Eleanor quelques rudiments, mais quand la Chasseuse avait fui Cindervale pour se réfugier à Copperhelm, elle avait renié ces connaissances. Depuis, Eleanor vouait une haine et un mépris intenses pour l'alchimie. Cependant, depuis leur première rencontre, Eleanor avait changé. Elle serait peut-être plus réceptive à l'alchimie. De toute manière, la Chasseuse n'avait pas le choix ; celle qui les avaient capturées était membre de la police alchimique. Leurs cibles étaient des alchimistes plus ou moins dangereux.

— Je ne vois pas pourquoi la générale pourrait avoir besoin de toi, continua Madeline d'un ton méprisant. La mécano peut-être, mais toi, c'est clairement pas la même.

Eleanor laissa échapper un claquement de langue. Ses yeux sombres hurlaient la colère et une douleur refoulées.

— Je travaille pour Eleanor, intervint brutalement Clementine en voyant la souffrance briller dans les yeux de la Chasseuse. Si vous voulez m'employer, va falloir passer par elle.

Eleanor lança un regard empli de gratitude à Clementine, qui y répondit par un rassurant sourire.

— D'autant plus que je suis une des meilleures mécaniciennes de Coppeerhelm et de sa contrée. M'abandonner pour de simples différends avec une Chasseuse est bien indigne de l'armée.

Piquée au vif, Madeline s'apprêtait à rétorquer, mais la claque d'Amelia derrière son crâne la réduisit au silence. Elle lui lança un regard sombre mais ne répondit rien, se contentant de faire claquer sa langue.

— Calme-toi, Madeline. Ce n'est guère correct pour une soldate.

— Sergent Wilkincraft.

En entendant résonner la voix de sa générale, les deux sœurs se mirent aussitôt au garde-à-vous.

— Détendez-vous. Je vois que vous avez réussi. Pennington, Hazard, je suis Scarlett Ambrose, générale de cette unité. Cependant, je me doute que vous me connaissez déjà.

Elle plongea son regard d'émeraude dans celui d'Eleanor. La Chasseuse avait déjà vu Scarlett, mais dans son uniforme militaire, elle la trouvait encore plus impressionnante. Scarlett dégageait une aura de puissance et de charisme. Son étincelant regard vert ne la quittait pas une seconde, comme si elle l'a défiait de détourner le sien.

— Suivez-moi. Je souhaiterais vous voir dans mon bureau.

Après un long moment à soutenir l'intense regard de Scarlett, Eleanor finit par se plier et suivit prudemment la générale dans le QG, Clementine sur ses talons.

Engrenages Sanglants I : Soldats De CuivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant