Chapitre 49

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Juliet fixa celle qui venait d'arriver, les yeux vitreux. Quelque chose était différent dans les yeux de Scarlett. Elle semblait... vide. Elle grinça des dents. C'était certainement à cause des vertiges. Scarlett s'accroupit devant elle. D'une main hésitante, elle posa ses doigts sur ses profondes blessures.

— Ma pauvre Juliet...

Cette fois-ci, elle n'avait pas rêvé. Son ton condescendant ne mentait pas.

— Scarlett...

Malgré ses vertiges, malgré son esprit brumeux, Juliet reconnaissait cette aura. La soif de mort. Cette femme, qui qu'elle soit la voulait morte. La femme à ses côtés se pencha vers son oreille, en mettant un poignard près de ses blessures.

— Tu reverras bientôt ta chère générale...

Juliet frémit, son sang battant à ses oreilles. Elle allait mourir. Son souffle se fit court tandis qu'elle sentait la lame glisser doucement vers ses blessures. Elle ferma les yeux, rassembla ses dernières forces et cria :

— Caporale Wilkincraft ! La vie est petite !

Madeline se figea. Elle sortit son pistolet d'une main tremblante et tira.

Puis ce fut le silence.

Dans une terrible lenteur, le visage de Scarlett fondit, ne laissant plus que ses prunelles vertes. Un sourire naquit sur les lèvres invisibles de l'homoncule.

— Vous mourrez tous.

Les chimères qui s'étaient cachées à sa vue sortirent des recoins sombres dans lesquels ils s'étaient réfugiés. Madeline, Eleanor et Clementine reculèrent prudemment.

Un cri déchira soudain l'atmosphère.

Scarlett, la vraie, cette fois.

Elle courut vers Juliet étendue au sol, ignorant complètement les chimères autour d'elle.

— Juliet... Juliet... Regarde-moi. Ça va aller. On va te sauver.

Même elle ne croyait pas à ses paroles. Même elle n'arrivait pas à se dire que son amie, son alliée de toujours allait vivre. Elle voulait y croire. Cependant, elle savait. Elle savait que c'était impossible.

— Ne pleure pas Scarlett, murmura Juliet d'une voix faible. Bats-toi. Tu touches au but. Je sais que tu vas y arriver. Je t'aime, Scarlett.

— Juliet...

Elle essuya ses yeux mouillés de larmes.

— Je t'aime aussi, Juliet.

Un dernier sourire naquit sur les lèvres de la colonel.

— Bats-toi !

Son corps se détendit tandis que la vie le quittait lentement. Les larmes coulaient sans s'arrêter des joues de Scarlett. Elle serra les poings. La tristesse commença à disparaître, laissant la fureur l'emporter. Elle sentit une nouvelle fois le démon et cette fois, elle le laissa faire.

— Tue-les, murmura Scarlett. Tue-les toutes !

Son aura changea du tout au tout quand elle se redressa. Une lueur folle brillait dans ses yeux. Madeline frémit en croisant son regard.

— Générale...

— N'ayez pas peur, caporale Wilkincraft... Je m'en occupe...

Son ton la fit frémir, mais hocha la tête.

Scarlett se fendit d'un sourire et fit face aux chimères qui avançaient vers elle. Elle se jeta sur elles, arrachant un cri à Janet. Elle tenta de s'interposer mais son frère l'arrêta d'un regard.

— Laisse-la...

— Oui mais...

— Elle n'est plus elle-même.

La silhouette aux cheveux roux qui virevoltait entre les chimères dans une danse mortelle ne ressemblait en rien à la Scarlett qu'elle avait connue. Elle était plus violente, sans pitié. Elle semblait se délecter de la mort des chimères et de leurs cris lugubres d'agonie. Un sourire froid était plaqué sur ses lèvres, qui ne cessait de s'agrandir quand le sang des chimères giclait autour d'elle.

Quand il ne resta plus que les carcasses des chimères horriblement mutilées au sol, Scarlett se laissa tomber au sol, se tenant la tête entre les mains.

— Arrête... Arrête...

— Générale...

La soif de sang et de mort avait disparu. Il n'y avait plus qu'une femme brisée se battant contre ses démons.

— Scarlett ! résonna soudain une voix.

Madeline poussa un soupir soulagé en voyant Theodor arriver. Il était entouré de ses hommes qui fixèrent la scène d'un air choqué.

— Scarlett, Scarlett, regarde-moi.

Il s'accroupit au côté de la générale. Elle hurlait à s'arracher la gorge. Des larmes coulaient sans discontinuer de son visage déformé par la haine, la colère et le chagrin. Elle tourna la tête vers lui et ses yeux glissèrent sur lui, sans le voir. Elle ne semblait ne voir qu'un monde imaginaire. Son corps tremblait, en proie à la peur. À ce moment précis, Theodor n'hésita pas. Il avait deviné que le massacre des chimères était son œuvre. Il savait que Scarlett menait un combat intérieur avec lui.Cependant il ne pouvait pas l'abandonner. Il la prit dans ses bras et reposa son visage sur le haut de sa tête. Elle sentait le sang et la mort, mais ça lui était égal.

— Reviens vers nous, Scarlett, reviens vers nous...

Comme si elle l'avait entendu dans les profondeurs de son âme, elle sursauta. De nouvelles larmes dévalèrent se joues, mais cette fois, teintées de soulagement et de joie. Elle l'enveloppa de ses bras, laissant sa joue se poser dans les replis de sa veste.

— Theodor... Juliet... Elle... Je...

— Je sais. Je sais...

Scarlett se sentit doucement lâcher. Le sentiment de liberté et de sécurité qu'elle avait tant ressentit en compagnie du démon l'envahit. Elle s'était fourvoyée. Ce n'était pas le démon dont elle avait besoin. Ce n'était pas de la force du démon dont elle avait besoin. Elle ne devait rien à l'amour, la mort lui avait sauvagement arraché tous ceux qu'elle aimait. Néanmoins, aujourd'hui plus que jamais elle ressentait ce besoin d'être aimée, pas d'être crainte ou respectée comme le faisait la plupart de ses hommes, mais d'être aimée.

— Je suis désolée... murmura la générale en se rendant compte de son erreur.

— Je suis là Scarlett.

Ils restèrent quelques secondes ainsi, mais ce fut amplement suffisant pour la générale qui sentit le poids de ses épaules s'alléger un peu. Elle s'écarta de son étreinte et lui adressa un léger sourire, qui disparut presque aussitôt quand elle prit subitement conscience de la gravité de la situation.

— Nous devons absolument aller à la capitale. Je vous expliquerai plus tard, mais nous devons nous mettre en marche.

— J'ai vu des portails de téléportation, déclara Madeline, en sortant de sa torpeur. Ils... la pierre philosophale était dessus.

Scarlett hocha la tête. Pierre philosophale égale pas d'échange équivalent.

— C'est risqué, tenta Theodor. Il nous manque encore un grand nombre d'informations sur la pierre.

— Faites-moi confiance. Ça marchera.

Le regard et le ton de Scarlett étaient sans appel. Personne n'osa la contredire. Personne, sauf...

— Je ne suis pas très convaincue... La fabrication de la pierre est obscure et on ne sait pas vraiment ce qu'il pourrait arriver si on l'utilise...

— As-tu une autre solution alors, Hazard ? Le temps nous est compté. Nous n'avons malheureusement pas le luxe de réfléchir davantage. Le pays est en grand danger.

Clementine baissa les yeux.

— Non aucune...

— Alors nous prendrons le portail, décréta Scarlett.

Engrenages Sanglants I : Soldats De CuivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant