Chapitre 13

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Septembre 2024

Huit allait un peu mieux maintenant. Elle avait une grosse cicatrice sur le ventre qui faisait environ une vingtaine de centimètres et elle refusait de s'approcher de la forêt. Elle avait encore peur des loups, et moi aussi je commençais sincèrement à avoir peur d'eux. Ils devenaient imprévisibles et agressifs avec nous comme s'ils protégeaient leur territoire. Pourtant nous n'étions pas vraiment des bêtes, n'est-ce pas? Ils n'avaient pas à protéger leur territoire de nous.

Résultat: je me rendais de moins en moins en forêt et nous avions de moins en moins de gibier. Huit était la plus mécontente par rapport à cela car nous mangions beaucoup de légumes et de soupe, et elle détestait toujours les légumes...

Quant à Walter... En effet, c'était bien lui dans le bois qui avait défendu Huit. Je l'avais croisé un fois en allant chercher de l'eau au lac. Il buvait tranquillement. Quand il m'avait vu, il avait levé la tête avec une certaine sérénité, comme s'il savait qu'il pouvait me faire confiance et qu'il me reconnaissait. Cela m'avait fait étonnement plaisir de me rendre compte que ce chien était reconnaissant encore après tant d'années de ce que j'avais fait pour lui. Il me respectait, tel son alpha, et me regardait avec presque un peu d'affection.

Ce jour-là, il m'avait rejoint près de la cascade et il avait gentiment léché mon genou écorché. Il était lui aussi un peu amoché ce qui concordait avec ce que Huit m'avait raconté à propos des loups. Apparemment Walter s'était bien battu mais les loups l'avait encerclé car ils étaient bien plus nombreux. Je m'étais donc assis dans l'eau, à ses côtés, et j'avais pris le temps de le caresser. Je voulais l'inspecter pour voir s'il n'avait pas quelques grosses blessures à soigner mais il ne m'avait pas laissé faire. L'eau fraîche lui suffisait sûrement.

Assis près de lui, ses beaux yeux plantés dans les miens, je lui avais confié: "Ne te décourage pas, Walt. Je sais au fond de moi que tu es bien plus fort que ces loups, je t'ai vu faire. Merci d'ailleurs de m'avoir protégé il y a quelques années déjà, et merci mille fois d'avoir protégé Huit au péril de ta vie. Tu es un bon chien..." Je lisais dans son regard du respect, de l'amitié ou peut-être un peu d'amour, comme un chien à son maître mais cette fois les deux étaient égaux. Il me paraissait si calme près de moi, parfois j'avais l'impression qu'il comprenait ce que je lui disais et que son regard me répondait. "Tu sais que je tiens à elle, n'est-ce pas, murmurai-je. Merci, Walter..."

Le chien m'avait léchouillé la joue avant de partir en remuant la queue. Je le vis courir à pleine allure à travers le champ. On voyait là un chien heureux de sa liberté ce qui en une partie me prouvait que j'avais eu raison de lui la laisser il y a maintenant onze ans pour moi et... vingt-sept pour lui? Comment le chien avait-il vécu vingt-sept ans? Un chien vit au maximum une quinzaine d'années... C'était... étrange...

Malgré toutes ces mésaventures, on continua de survivre et survivre encore pendant que le temps passait, que la nature réparait la planète et que nous grandissions... Le calme s'installa, comme si tout était normal. Nous avions une routine, on s'occupait du potager, du cimetière, du gibier, des loups, de l'eau, de notre hygiène, et même un peu de Walter, on lui laissait souvant quelques trucs à manger sur le pas de la porte.

Avec le temps, Walter reprit son territoire. Il ne chassa pas les loups, mais il devint leur alpha. Je l'aperçu un jour, j'étais au potager pendant que Huit chassait, enfin plus sereine d'aller en forêt, et je vis au loin la meute entière des loups avec, en haut d'un énorme rocher, le chien qui dominait. Il me vit, me regarda avec un peu de fierté peut-être, et il partit en courant et hurlant tandis que les animaux le suivaient en hurlant tous à l'unisson. C'était très beau à voir...

Le temps passa donc, et on survécut. On tenta nos propres expériences, je faillis mettre Huit enceinte, je me cassai une fois le genou, Huit se foula plusieurs fois le poignet, mais on survécut. On se fit parfois voler nos ressources par les animaux, mais nous étions les intrus ici, alors on ne leur en voulait pas, on s'acclimata à notre vie, la faune et la flore apprit à nous accepter en tant que confrères, et on survécut. On mûrit avec l'âge, mais jamais Huit ne perdit son âme enfantine, elle continuait de sourire pour tout et rien, elle continuait de me faire aimer un peu la vie ici, elle continuait à être magnifique, intelligente et fascinante, et moi je continuais de... tomber amoureux de cette femme, et on survécut. Il nous arrivait d'aimer la vie, de danser sous la pluie, de rire, de faire de la musique, de la pâtisserie, de nous promener, de ramasser des fleurs, de nous faire des surprises, de nous embrasser devant le soleil couchant, de profiter de notre havre paisible, et on survécut.

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