Chapitre 4

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Jeudi 7 octobre.

Déjà plus de deux semaines se sont écoulées depuis ma rencontre avec Théo. Chaque jour, je me demande où il est. Chaque jour, je vérifie sur Facebook s'il n'est pas connecté (on ne sait jamais). Et chaque jour, je dois m'empêcher de passer devant le centre commercial.

Parfois, je me dis que le cerveau humain est vraiment fou dans son genre. C'est vrai, il y a quinze jours, Théo était relégué au rang de camarade de classe et d'amis. Un ami qui a extrêmement compté, ça c'est certain, mais à qui je n'avais pas repensé durant des années. Et voilà qu'il occupe mon esprit chaque jour maintenant et que je me triture la tête matin et soir en espérant qu'il soit prêt pour l'hiver qui ne fait qu'approcher. Non vraiment, mon cerveau va me rendre chèvre !

Je n'ai pas parlé de Théo à Jérôme. Primo, il n'en a rien à faire des SDF. Il considère que si ces personnes sont à la rue, c'est uniquement leur faute. « Ils n'ont qu'à se sortir les doigts du cul », comme il dit. Secundo, il serait jaloux. Genre, vraiment jaloux. Ce ne serait bon ni pour moi, ni lui et encore moins pour Théo. Tertio, eh bien... C'est Jérôme. En fait, cet argument suffit à lui seul.

Je sors de mon bureau, ou plutôt de mon cagibi transformé en bureau, et retrouve Jérôme au salon.

_ Je dois bosser sur plusieurs illustrations cette après-midi. Je ne sais pas si j'aurais fini à temps pour aller chercher Théa à l'école, tu pourrais y aller à ma place ?

Pas de réponse. Ça t'étonne tant que ça ?

Son regard est vissé sur notre écran plat. A ce stade, c'est pire qu'un adolescent geek. Je jette un œil à la télé et lève les yeux au ciel lorsque je reconnais le jeu vidéo. Une sorte de jeu de guerre se déroulant sur différentes planètes.

Depuis six mois, c'est la même rengaine quotidiennement. Au début, j'étais compréhensive. Je me disais que passer ses journées devant les jeux vidéo l'aiderait peut-être à s'occuper l'esprit car, il faut être honnête, un licenciement, ce n'est pas rien. Mais maintenant, c'est comme s'il était enfermé dans une boucle spatio-temporelle dont il n'essaiera jamais de sortir car quelque part, il s'y sent parfaitement bien. Une boucle où les obligations familiales et sociétales n'existent pas. Sauf que, dans ma réalité (et attention spoiler, dans la majorité de la population aussi), les obligations sont présentes au quotidien. Pas la peine d'en dresser une liste, elle serait longue comme mon bras, surtout en étant maman ! Le problème, c'est que ma tête est juste à la surface de l'eau une nouvelle fois. Ce n'est pas la même chose qu'il y a cinq ans, mais ça reste dur quand même. Je survis, mais mes lèvres commencent à en ressentir la fraîcheur. Bientôt, je coulerai et je crains que personne ne soit là à temps pour m'aider à remonter.

Je soupire avant de retenter ma chance.

_ Jérôme... Je te parle !

_ Quoi ? Il me répond sans me regarder.

_ Je t'ai demandé si tu pouvais aller chercher Théa à l'école ce soir.

_ Et pourquoi ? Tu n'es pas capable d'y aller ?

Je lève les sourcils, ahurie.

_ Je te signale que j'ai un boulot, moi !

_ Ouais, bien sûr. Dessiner des licornes et des escargots, tu parles d'un boulot ! Il me répond avec un petit rire.

_ Tu... Je n'arrive pas à y croire, je dis en me prenant la tête des deux mains. Ce boulot, c'est notre seule source de revenu ! Tu n'essaies même pas de trouver un job et en plus, tu ne fous rien à la maison ! Tu ne m'aides jamais, je dois me débrouiller seule pour m'occuper de tout ! Alors aller chercher Théa pour que je puisse terminer mon illustration à temps, je ne crois pas que ce soit compliqué !

De l'autre côté de la rueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant