Chapitre 13

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Le lundi matin, le ciel de Paris reflète exactement mes sentiments du jour : terne et morose. En dépit de mon envie d'enterrer cette histoire avec Jérôme, Colleen a dû me tirer du lit puis me mettre un grand coup de pied aux fesses pour que je sorte de son appartement. Juste avant, j'ai quand même essayé d'avaler une biscotte, mais aucun aliment n'a su franchir la frontière de ma gorge.

Un mauvais pressentiment m'a envahie depuis hier soir au point que mon sommeil fut en dents de scie cette nuit. Je suis persuadée que cette matinée ne va pas se passer comme prévu et mon angoisse ne cesse d'augmenter. Malgré cet état, mon ventre à faim et c'est avec un énorme gargouillis que je m'enfonce dans le taxi au côté de mon amie.

— Comment tu te sens ? elle me demande en me prenant la main.

— ça pourrait aller mieux. J'ai hâte que cette histoire soit derrière moi.

Un silence agréable prend place dans l'habitacle perturbé uniquement par les bruits de circulation de la capitale. Ma paume est toujours dans celle de Colleen. Malgré le réconfort que ce contact me procure, je me ronge un peu plus les ongles à mesure que nous nous rapprochons de notre destination.

A notre arrivée, mon pouce est en sang. J'attrape un mouchoir dans mon sac et tamponne mon doigt jusqu'à ce que le saignement s'arrête. Je sors du taxi pendant que mon amie règle notre course. A peine ai-je le temps de poser les yeux sur la façade de l'immeuble que je sens mes jambes se dérober sous mon poids. Je me retiens à un lampadaire tout proche et prend conscience que les battements de mon cœur tambourinent dans ma poitrine à un rythme incessant. Je ferme les yeux et essaie de reprendre le contrôle de mon corps en me concentrant sur ma respiration. J'ai l'impression que cela marche, jusqu'à ce qu'une petite voix s'immisce dans mon esprit : fuie. Fuie cet endroit où Jérôme risque de finir ce qu'il a commencé. Je sens mes pieds faire quelques pas en arrière mais une main m'agrippe l'avant-bras, m'empêchant d'aller plus loin :

— Pauline, respire. Tu l'as dit toi-même, il est rarement à la maison le lundi matin. Tu vas récupérer tes affaires ainsi que celle de ta fille et ensuite, tu pourras enfin sortir Jérôme de ta vie. Ok ? Je suis avec toi.

— Tu es avec moi, je répète comme un mantra.

— Oui, je suis avec toi, elle réitère une nouvelle fois. Tous vas bien se passer, elle m'assure en me guidant vers l'entrée du bâtiment.

Dans la cage d'escalier, mon ventre se noue tandis que mon cerveau carbure au ralenti. J'avance, mais tout mon être est projeté ailleurs, comme pour me protéger de ce qui se pourrait se passer.

Nous accédons au dernier étage et échange un regard inquiet avec Colleen. Elle fronce les sourcils tandis que je prends plusieurs inspirations. Le brûlé. Ça sent le brûlé.

L'odeur ne ressemble pas à celle d'hier, comme lorsque ma mère à oublier les lasagnes au four. Non, cette fois-ci c'est beaucoup plus fort et mon inquiétude redouble en intensité. J'essaie de retrouver un faux-semblant de calme en résonnant de manière logique. Il y a une dizaine de portes sur ce palier, l'odeur pourrait venir de n'importe laquelle d'entre elles.

Pourtant, en me plantant devant la porte d'entrée, ma porte, je sais qu'elle vient d'ici. Comment je le sais ? Je n'en sais foutrement rien.

Je brandis mon trousseau de clés et y insère la correspondante. Dans un mouvement de poignet, je tourne la clé tout en appuyant sur la poignée. Je ne prends pas mon temps pour déverrouiller. Maintenant que je suis ici, je suis déjà impatiente de repartir. En plus, je veux vérifier si mon instinct à vue juste.

Oh bordel...

Petite merde.

Enfoiré !!!

Les insultes continuent dans ma tête, ou à voix haute, je n'en sais rien.

Je reste prostrée, figée sur place avec l'incapacité d'aller plus loin.

Colleen, qui me connaît mieux que personne, sait que j'ai besoin qu'elle avance en premier. Sans un mot, elle commence à avancer dans le petit couloir desservant le salon où un énorme tas noir me nargue. Au-dessus, de la suie immacule le plafond. Le reste de la pièce me semble intacte, ce sont uniquement mes affaires qui ont pris feu, réunis au milieu du salon. Même d'ici, je reconnais des fragments de mes vêtements qui ont survécu à l'attaque de ce taré. Je détourne les yeux en espérant qu'il n'est pas allé plus loin. Je préfère me concentrer sur Colleen dont sa tête tourne dans tous les sens au rythme de ses pieds qui avancent. En entrant dans le salon, elle s'arrête quelques secondes devant le tas de vêtements brûlé avant de lancer un rapide coup d'œil sur sa gauche, là où se trouvent les chambres. J'arrive à entendre d'ici sa respiration qui se fait plus bruyante. Elle est furieuse, comme moi. Je n'arrive plus à tenir, je dois savoir si ce cinglé à brûler autre chose.

Colleen m'entend la rejoindre et dans un mouvement vain tente de m'attraper par les bras. Son corps fait barrage et je devine à son regard qu'elle me conseille de ne pas faire un pas de plus. Je me libère violemment de ses bras. Même si je sais que Colleen est de mon côté, personne ne m'empêchera de voir ce que cet enculé a fait. Je sais que je le regretterais, mais je dois le voir par mes propres yeux.

Sans me quitter du regard, mon amie se dégage pour que je puisse avancer. En découvrant les dégâts, ce n'est pas de la tristesse que je ressens. C'est une haine intense, si forte que je sais que je ne m'effondrerais pas maintenant. Une rage qui me bouffe de l'intérieur à mesure que mes yeux scannent la pièce et que je découvre mes affaires détruites.

Le gros tas que je voyais depuis l'entrée se révèle être ce que je pensais. Ce sont tous mes vêtements, ou plutôt ce qu'ils en restent. Je m'accroupis et attrape un pull bleu ciel, que je reconnais grâce à un bout de manche qui n'a pas pris feu, en fulminant. Même si c'était l'un de mes préférées, ce n'est pas ce qui m'énerve le plus. Nous sommes bientôt en hiver mais cet enfoiré à juger bon de détruire aussi mes vêtements d'été, comme si détruire la garde-robe dont j'ai besoin à l'heure actuelle n'était pas assez jouissif pour lui ! Putain, même mes chaussures y sont passées !

— Théa, je murmure.

Je cours jusqu'à sa chambre et lorsque j'arrive devant, je ne peux retenir un juron sortir de ma bouche. Aussi incroyable que ça puisse paraître, il n'a pas touché à ses affaires. S'il l'avait fait... Mieux vaut ne pas y penser.

Je rebrousse chemin jusqu'à notre chambre qui abrite ma bibliothèque débordante au maximum. Qui oserait brûler des livres ? Ouais c'est vrai, les nazis. Mais Jérôme n'est pas aussi fou que ça. J'entre dans la chambre et...

Fils de pute. Fils de pute. Fils de pute.

Mais si bordel, il l'a fait ! Il est vraiment fou à lier !

Tous mes livres sont étalés par terre, les couvertures noircies par la suie. Les pages sont pour la plupart consumées, tout comme ma rage. Traitez-moi de faible si cela vous chante mais je rends les armes. Je m'écroule au sol, n'arrivant plus à retenir mes larmes.

C'est à ce moment-là que je me rappelle que ma bibliothèque n'abritait pas uniquement mes livres. Tout en bas se trouvait l'ensemble des albums photos de Théa. Toute sa vie y était consignée, depuis le début de ma grossesse jusqu'à la dernière rentrée scolaire, il y a deux mois. Comment peut-on être horrible à ce point ?

— Pauline, j'ai trouvé ça...

Je n'ai même pas entendu Colleen me rejoindre. Mon visage ne doit pas être beau à voir car lorsque nos yeux se rencontrent, je vois ses dents mordre sa lèvre supérieure.

Le papier qu'elle me tend est petit et je reconnais le bloc-note auquel il a été arraché. L'écriture est maladroite, comme s'il l'avait écrit à la hâte.

J'ai brûlé tes affaires. C'est MOI qui t'es sortie de ta merde, sans moi tu n'aurais jamais eu tout ça. Tu n'as que ce que tu mérites, traînée.

Un goût métallique se diffuse dans ma bouche et je prends conscience que c'est ma joue que je suis en train de mordre. Je desserre les mâchoires tout en broyant de mes mains le mot qu'il m'a laissé.

De l'autre côté de la rueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant