Ses doigts, pourtant rugueux, glissent sur ma peau avec la même délicatesse qu'une légère plume. L'intensité de ses caresses n'augmente pas mais mon pouls, lui, commence à s'emballer sévèrement. Mes yeux rencontrent les siens et je sens que sa carapace se brise tout doucement. Je ne pourrais expliquer comment je le sais, mais c'est indéniable. D'une exquise profondeur, son regard me sonde. Il m'observe et me contemple comme nulle autre ne l'as fait auparavant.
La nostalgie de mon adolescence m'envahit soudain, me rappelant une nouvelle fois combien Théo était important à mes yeux. Combien il a compter. Combien il compte toujours. A l'époque, il ne lui suffisait que d'un seul coup d'œil pour me comprendre. Il ne lisait pas en moi comme dans un livre ouvert, non. On pourrait plutôt prendre l'exemple d'un manuscrit. Lui, c'était l'auteur. Celui qui connaît son personnage principal par cœur, qui savait ses réactions avant même qu'elles ne se produisent. Alors que moi, j'étais relayé au simple rang de... Personnage secondaire ? Lectrice ? Je n'arrivais pas à prendre la moindre décision quant à mes sentiments. Je m'efforçais de les enterrer au plus profond de moi, alors qu'en réalité, ils ne cessaient de grandir de jour en jour. Voilà ce qui est le plus triste dans l'histoire : j'attendais. J'attendais désespérément que quelque chose se produise et qu'il s'aperçoive de mon amour pour lui, ce qui n'ai jamais arrivé. La peur de le perdre était bien plus forte que le courage de le lui avouer.
Ses doigts délaissent ma peau quelques secondes, le temps pour eux de s'entrelacer aux miens. Sa main, bien plus imposante que la mienne, m'enveloppe de sa chaleur. Malgré le froid, mes chaussures trempées et ce matelas humide sur lequel je suis assise, je n'aimerais me trouver nulle part ailleurs. Je suis à ma place.
— Retomber par hasard l'un sur l'autre, quinze ans après... C'est fou non ?
— Oui. Mais j'aurais préféré dans d'autres conditions, il répond en lançant un regard circulaire autour de lui.
— Peut-être... Peut-être pas.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
Mon inspiration est discrète contrairement au pincement de mes lèvres. Théo fronce légèrement les sourcils.
— Est-ce que le prénom de Colleen te dit quelque chose ?
— Colleen... il répète doucement tout en fouillant dans sa mémoire. Oui, ça me dit quelque chose.
— Je t'en parlais souvent, je dis en souriant. Rappelle-toi, je l'ai rencontré lors de mon voyage en Angleterre.
— Mais oui, Colleen ! Comment va-t-elle ? Vous êtes toujours en contact ?
— C'est le moins qu'on puisse dire. Nous sommes devenues très proches, je la considère même comme ma sœur. Et... Je lui ai parlé de toi.
Son regard, si doux au départ, se durcit subitement. Il n'a pas besoin de quelques secondes supplémentaires pour comprendre où je veux en venir. Alors, lorsqu'il commence à retirer sa main de la mienne, je la retiens.
— Attends, laisse-moi t'expliquer avant de te braquer. Ok ?
Son hochement de tête est si imperceptible que je ne l'aurais pas remarqué si nos corps n'étaient pas si proches l'un de l'autre.
— Quand je t'ai revu la première fois, au supermarché, cela m'a fait un choc. J'avais besoin d'en parler, alors je l'ai dit à Colleen. C'est elle qui a eu l'idée que je t'envoie un message sur Facebook et depuis, elle ne cesse de me demander de tes nouvelles. Il y a quelques mois, elle a décidé d'emménager à Paris. Elle as un travail extrêmement prenant. Son patron lui a demandé de rentrer très vite à Londres pour une dizaine de jours ou plus. Elle s'en va demain. Alors durant son absence, elle a proposé que tu loges chez elle...
— Hors de question ! il répond dans la foulée en réussissant à dégager sa main de la mienne.
— Mais pourquoi ?! Tu préfères vivre ici, sur ce matelas humide et crever de froid chaque nuit ?
Ma voix s'élève. Cette tête de mule commence à m'énerver !
— D'abord, je ne l'ai jamais rencontré cette fille. Elle est vraiment prête à laisser un inconnu vivre seul chez elle plusieurs jours ? Et puis il me semble que je t'ai déjà dit que je ne veux pas de ta pitié !
Donc là, il veut vraiment qu'on se dispute sur un sujet si... Vital ?! Parfait !
— Bon, que les choses soit bien claires, je dis en me redressant. Oui, elle est certaine de vouloir laisser dormir un inconnu chez elle, même si tu n'en ai pas vraiment un pour elle. De toute façon, tu ne seras pas seul. Je vis chez elle depuis plusieurs semaines avec ma fille, alors vois ça plutôt comme une collocation si tu préfères, avec une vieille amie et une petite fille. Alors maintenant, tu as tout intérêt à accepter car je te préviens : tu dormiras là-bas ! Et si je dois t'y traîner par la peau des fesses, crois-moi, je n'hésiterais pas ! Oh oui Théo, il est hors de question que tu restes içi alors que tu pourrais dormir avec un toit au-dessus de la tête ! C'est quoi que tu veux, te transformer en glaçon ? Te faire tuer dans ton sommeil ? Dormir sur ce vieux matelas miteux jusqu'à ce qu'il tombe des vaches du ciel ?! Quoi ? On peut savoir ce que tu trouves drôle ?!
— Rien ! il répond en levant les mains alors que son rire s'accentue de plus belle.
— Rigole bien. On verra si c'est le cas quand je t'amènerais chez elle de force ! je réponds en pointant mon index sur lui.
— Tu sais à quoi tu me fais penser, en ce moment ?
— Non mais je t'en prie, dis-le-moi.
— Un chihuahua, il répond avec un grand sourire.
— Ah non, tu ne vas pas recommencer !
— Oh si. Ce petit surnom t'allait si bien à l'époque, et je vois que c'est toujours le cas aujourd'hui. Quand tu es sur ta lancée, plus rien ne t'arrête. Comme quoi, certaines choses ne changent pas !
J'avais oublié qu'il me surnommait comme ça à l'époque. Je fais mine de m'offusquer, mais en réalité j'ai toujours aimé ce petit surnom. Et puis il a raison sur toute la ligne. Il m'arrive de monter trop vite dans les tours, surtout quand quelque chose me tient à cœur.
Au moins, sa remarque a eu le mérite de me faire redescendre en quelques secondes.
— Qu'est-ce que tu veux, on ne se refait pas. Alors, est-ce que je vais devoir user de ma force légendaire ?
— Ta force légendaire, peut-être pas. Mais si j'accepte, c'est à une seule condition. Le jour où je retrouve un emploi, je payerais à Colleen les nuits que j'aurais passées chez elle. Il est hors de question que l'on me fasse la charité. C'est non négociable.
— Si tu y tiens. C'est comme tu veux. On y va ? Je dis en commençant à me lever.
— Maintenant ? Tu n'as pas dit qu'elle partait demain ? il lance d'un air étonné.
— Oui, mais si tu crois que je vais te laisser ici cette nuit, tu te fourres le doigt dans l'œil.
Même si elle ne part que demain, Colleen comprendra.
— Mais, attends. Pourquoi vis-tu chez elle ? Tu m'as dit que tu vivais avec quelqu'un pourtant.
— C'est... Compliqué. Allez, debout !
Soulagée qu'il n'insiste pas, je l'aide à se relever du sol. En quelques secondes, il rassemble ses affaires. En quittant cette rue avec lui, un énorme poids semble se détacher de mes épaules. Ce soir, il dormira au chaud.
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De l'autre côté de la rue
RomanceAprès un retour de course, Pauline est bouleversée en rentrant chez elle. Elle n'arrive pas à le croire : Théo, son meilleur ami du lycée, est SDF. Elle l'a reconnu devant le magasin, en train de mendier. Même 15 ans après, elle n'a pas oublié comme...