Lorsque j'entre dans la boulangerie, une agréable odeur de pain chaud me réchauffe instantanément. J'adore cette odeur – c'est une de mes préférées. Contrairement à la fromagerie, il n'y a qu'une vieille dame en train d'acheter sa baguette matinale. Cela devrait aller vite. En attendant, je me retourne pour vérifier que Théo est toujours là, dehors.
Il a préféré s'installer en terrasse. J'ai voulu insister pour se mettre plutôt au chaud mais le regard qu'il m'a lancé a suffi à me dissuader. Il n'a pas desserré les lèvres depuis qu'il s'est levé de son trottoir. Je commence à me demander si ce café est une bonne chose. En le regardant, quelques souvenirs de nos années de lycée me reviennent en mémoire. J'esquisse un sourire en me rappelant combien nous étions proches à cette époque.
Son look de SDF avec sa longue barbe ne passe pas inaperçue. Il est replié sur lui-même, le buste en avant, comme s'il voulait se cacher. Je vois bien les regards en coin que lui lancent certains clients installés à d'autres tables. Je lève les yeux au ciel et je reporte mon attention devant moi où je découvre que même la vendeuse, qui pourrait faire preuve d'un minimum de professionnalisme, s'est mise à chuchoter avec sa collègue en le fixant. Je n'arrive pas à entendre leurs messes basses mais je suis certaine que ça ne me plairait pas. Quoi, il va faire fuir de potentiel clients ? Le chiffre d'affaires va s'effondrer tel un soufflé à l'orange ? Il va transmettre la rage ?
Le petit papotage continue et je m'avance vers elles lorsque la vieille dame s'en va. Les regards en coin continuent alors, sans réfléchir, je lance :
— Excusez-moi, vous parlez de l'homme assis dehors ?
La vendeuse, ayant une quarantaine d'années environ, se tourne vers moi en haussant les épaules. Ses cheveux blonds sont ramenés en chignon et elle porte un uniforme noir parsemé de quelques lignes orange. Sa ride du lion est très marquée, ce qui accentue son côté mauvais.
— Oui c'est ça. Ne vous inquiétez pas madame, ma collègue vas allez le voir. Clo ? Viens, j'ai besoin que tu ailles en terrasse !
Tu brailles comme une poissonnière sur un marché de Marseille.
— Qu'est-ce que vous comptez faire ? Je demande en fronçant les sourcils, tout en essayant de garder mon calme.
— Le faire partir, évidemment.
— Mais... pourquoi ? A ce que je vois, il ne fait rien de mal !
— Pour l'instant, oui ! Mais je n'ai pas envie que mes clients soient dérangée par lui ou qu'il vienne me mendier du pain. Il ne manquerait plus que ça ! Vous savez, je n'ai pas que ça à faire moi. Qui sait ce qu'il pourrait se passer avec ce genre d'individus ? Bon Clo, tu viens ?!
Mes yeux s'agrandissent de stupeur. Comment peut-elle croire que Théo puisse faire du mal à quelqu'un ? Je crois que je viens de tomber sur Jérôme au féminin.
Avant que je n'ouvre la bouche, une femme sort de l'arrière-boutique. Plutôt mince, elle porte des lunettes et ses cheveux roux sont coupés au carré. C'est sûrement la fameuse Clo. Elle me fait penser à mon ancienne directrice du lycée, celle que nous avions avec Théo à l'époque. Et ce n'est pas un compliment, loin de là.
— Arrêtez-vous ici Clo, ce ne sera pas la peine. J'aimerais deux cafés allongés, un assortiment de viennoiseries et trois baguettes. Je suis venue avec lui. Surtout faites vite, il ne faudrait pas qu'il attaque quelqu'un, je crois qu'il a la rage ! Oh et j'allais oublier. Surtout, pensez à bien passer à la javel tout ce qu'il touchera !
La vendeuse écarquille les yeux de surprise et son visage rougis de seconde en seconde. Elle est pire qu'une tomate. C'est sans un mot qu'elle part me servir ce que j'ai commandé. Désormais, son regard n'ose plus se poser sur moi et je m'en réjouis. Quant à Clo, elle retourne d'où elle vient avec une moue désespérée. Pétasses.
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De l'autre côté de la rue
RomanceAprès un retour de course, Pauline est bouleversée en rentrant chez elle. Elle n'arrive pas à le croire : Théo, son meilleur ami du lycée, est SDF. Elle l'a reconnu devant le magasin, en train de mendier. Même 15 ans après, elle n'a pas oublié comme...