Chapitre 20

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Le stress est en train de grignoter tout mon corps. Littéralement.

Evidemment, cela a commencé par mes doigts, comme d'habitude. Quand je les regarde, je me demande où sont passer mes ongles tellement je les ai rongé... C'est affligeant et vraiment pas beau à voir.

C'est ensuite mon estomac qui a fait les frais de mon état d'esprit avec de belles nausées. A présent, je sens mes jambes qui flageolent à mesure que je me dirige vers le minibus. Je me hisse à l'intérieur puis m'installe sur le seul siège encore disponible et salue en même temps les trois personnes qui s'y trouvent. J'imagine que ce sont les autres bénévoles.

Je n'ai même pas le temps de détailler mes collègues de maraude qu'Anthony s'installe déjà au volant, puis se retourne vers nous :

— Bon les amis, nous avons une nouvelle bénévole ce soir, dit-il en me lançant un coup de tête. C'est sa première maraude. Pauline, je vous présente Muriel, Ludovic et Patrick.

Il est interrompu par la sonnerie de son téléphone. Lorsqu'il décroche, j'en profite pour jeter un rapide coup d'œil à mes co-équipiers.

A première vue, je suis certaine qu'ils sont habitués à ce genre de mission. Aucun n'a l'air stressé et tous sont occupés à diverses tâches.

Muriel est en train d'éplucher diverses feuilles avec un air concentré, plissant les yeux sous ses lunettes carré à la monture rouge vif. Ses cheveux blonds sont coupés court et elle doit avoir environ la cinquantaine d'années.

Ludovic me semble être le plus jeune du minibus, je doute qu'il soit âgé de plus de vingt ans. Ses cheveux noirs ébouriffaient ainsi que son corps svelte accentue le côté enfantin qu'il dégage. Sur ses genoux se dresse une petite montagne de paquets de thé vert et de thé noir déballé ainsi que des boîtes de café soluble. Il me faut quelques secondes de plus d'observation pour comprendre qu'il dispose tous les petits sachets ainsi que les dosettes de café dans une seule et grande boite afin de gagner un maximum de place.

Quant à Patrick, son appel téléphonique semble ne pas être agréable. Ses grands sourcils en broussaille ne cessent de se froncer à mesure qu'il discute avec son interlocuteur, renforçant sa ride du lion bien marquée. Désespéré, il relève ses lunettes sur son crâne dégarni tout en se frottant les yeux après avoir raccroché.

— Patrick, lance Anthony en fourrant son téléphone dans la poche de sa veste, je dois régler un problème au foyer avant qu'on ne décolle. Je peux te laisser expliquer à Pauline le déroulement de la maraude ?

— Aucun problème, répond l'intéressé d'une voix grave.

— Parfait. Muriel, je te laisse distribuer la feuille de route de ce soir. Je reviens au plus vite, il lance avant de sortir du véhicule.

Muriel tend à chacun d'entre nous un feuillet de trois pages. Je les feuillette rapidement et m'aperçois qu'il s'agit uniquement de liste avec des noms inscrits.

— Il n'y a rien de compliqué, débute Patrick en me regardant. Le parcours est délimité par avance afin que l'on puisse visiter un maximum de personne. Sur ces feuilles, tu trouveras le prénom ainsi que toutes les informations dont tu as besoin sur chaque individu que nous verrons ce soir. Par exemple, certains ont besoin de couverture ou de vêtements chauds tandis que d'autres aimerait avoir de la nourriture ou des produits d'hygiènes. Evidemment, ces informations peuvent changer lorsque nous sommes devant eux.

Tout en hochant la tête, je commence à lire les premiers prénoms de la liste avant que Patrick ne me demande :

— D'après toi, quel est la chose la plus importante à faire avec chaque SDF ?

— Hum... Leur apporter du réconfort ?

— Exact. Maintenir un lien social est primordial. Tu verras, certains sont plus enclins que d'autres à parler mais il ne faut pas se décourager. Rigole à leurs blagues, discute de leur passé, alimente des conversations qui n'ont aucun sens... Fais tout ce que tu peux pour échanger avec eux tout en essayant de grappiller quelques informations au passage.

— Quel genre d'informations ?

— S'ils se sentent en sécurité, s'ils ont besoin de soins médicaux... Ce genre de choses. Tu peux aussi tenter de leur proposer un centre d'hébergement mais je préfère te prévenir : la plupart refusent.

— Pourquoi ? Je demande en montant dans les aigus.

— Disons que ces endroits sont souvent pleins à craquer et ils craignent de se faire voler leurs affaires. En plus, nous avons besoin de leurs noms complets ainsi que leur date de naissance pour pouvoir les y envoyer, et certains ne veulent pas nous les donner, par choix ou car ils sont sans papier. Tu as vu les caisses de provisions dans le coffre ? Il me demande sans transition.

— Non je n'ai pas pu, tout était déjà chargé lorsque je suis arrivée.

— Il y a trois caisses, il m'explique : la première est pour les vêtements ainsi que les couvertures et la deuxième est pour les denrées alimentaires. Enfin, la dernière rassemble tout le reste : produits d'hygiènes, assiettes et couverts en cartons, thermos d'eau chaude... A chaque arrêt, ton rôle sera de te référer à la feuille de route afin de savoir ce qu'a besoin la personne. Ensuite, tu lui prépare tout dans un des sacs plastiques qui se trouvent dans le coffre puis tu nous le donnes, et tu nous laisses faire.

— Je ne peux pas discuter avec eux ?

— Bien sûr que si, intervient Muriel. Mais en général, Anthony préfère que les nouveaux bénévoles observent la première demi-heure. Ça te laisse le temps de te familiariser avec l'approche qu'il faut utiliser, même s'il faut toujours s'adapter suivant la personne qui se trouve en face de toi.

— On dirait que vous n'en êtes pas à votre première maraude, je leur lance à tous les deux.

— Oh non ! Répond Muriel avec un léger sourire. J'en suis à ma quatrième année !

— Et moi, c'est ma neuvième, enchérie Patrick.

Impressionnée, je tourne la tête vers Ludovic dont je n'ai toujours pas entendu le son de sa voix.

— Je ne te serais pas d'une grande utilité, ce n'est que ma deuxième maraude.

— Et j'espère qu'ils y en auras plein d'autres ! Aboie Patrick en lui assénant une tape sur l'épaule. Des jeunes qui s'engagent sur des maraudes, ça ne court pas les rues !

J'aimerais leur demander s'ils ont déjà rencontré Théo lors de leurs sorties, mais je ne sais pas ce que leurs as dit Anthony. Dans le doute, je garde la bouche fermée.

— Anthony ne va pas tarder à revenir. Ce serait bien que chacun de nous prenne connaissance de la maraude de ce soir, lance Muriel en agitant le feuillet de sa main droite.

— Exact, dit Patrick. Si tu as des questions Pauline, n'hésite pas.

Je lui réponds par un hochement de tête, puis commence à étudier la feuille de route.

Sur chaque ligne est indiqué le lieu où la personne est censée se trouver, son prénom ainsi que les informations sur elle dont nous disposons.

Trois hommes sont concernés par le premier arrêt :

Marius - thermos d'eau chaude, cafés solubles et couvertures.

Saïd – Gel douche, dentifrice et boîte de conserve.

Eugène – Soupes instantanées, thermos d'eau chaude.

Je continue la lecture des feuillets, impatiente de lire le prénom de Théo et c'est sur la dernière page que je le trouve enfin.

Théo – couverture, vêtements chauds, thermos d'eau chaude.

C'est avec le souvenir de Théo sur le rond-point de mon supermarché qu'Anthony revient au volant du minibus. Le véhicule démarre et à mesure que nous prenons de la vitesse, mes souvenirs semblent remonter le temps jusqu'à revenir à celui qui fait partie de ceux qui ont le plus marqué ma vie : ma fête d'anniversaire, celle de mes dix-huit ans.

De l'autre côté de la rueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant