Le vieil homme regardait le jeune brun dormir à poings fermés, la respiration agitée. Ses sourcils blancs étaient froncés en une épaisse ligne au-dessus de ses yeux cobalt. Il se tramait quelque chose sous son toit et il était quasi sûr de savoir quel en était le sujet. Théo, son fils, avait les yeux rivés à Louise. Depuis qu'elle lui avait dit son nom, il ne cessait de suivre le moindre de ses mouvements, fasciné. On aurait dit un scientifique en train d'observer une nouvelle créature qu'il n'avait encore jamais rencontrée.
-Théo ? appela-t-il.
-Oui ?
-Tu devrais aller te coucher, il est tard.
Le blond secoua négativement la tête.
-Je ne suis pas fatigué, père.
-Une longue journée nous attend demain, tu sais. Va donc dormir. Et vous aussi, jeune fille.
Théo regarda Louise, curieux de voir sa réaction. Elle s'était brusquement retournée vers le vieil homme, le regard noir.
-Je vous demande pardon ? fit-elle froidement.
-Vous m'avez très bien entendu, répondit calmement l'homme, ses yeux bleus plantés dans les siens.
-Je ne laisserais pas mon f... ami seul entre vos mains.
-Le contraire m'aurait étonné. C'est pour cela que je vous propose de dormir sur ce fauteuil pendant que mon fils et moi allons dormir à l'étage.
Louise, le regard plus méfiant que jamais, acquiesça sèchement. Théo monta les marches en bois de la petite maison, suivi par son père, qui s'arrêta avant d'atteindre la dernière marche.
-Oh, et d'ailleurs ; mon nom est Lucien. Bonne nuit.
Sur ces mots, il termina de monter les marches et la maison s'enfonça dans un silence inconfortable. Louise s'installa sur le fauteuil dont Lucien avait fait allusion, l'esprit agité. Son frère ne se sentira pas mieux avant minimum trois jours. Rester dans ce village aussi longtemps était bien trop dangereux. D'ici peu, le Cavalier qu'elle avait battu la veille mettra son Roi au courant de la mort de ses soldats, et de l'endroit où tout s'était déroulé. Alors, il enverra une nouvelle horde de guerriers qui arrivera bien trop rapidement. Elle trouvera ce petit village facilement, se trouvant à quelques kilomètres de la zone de combat. Et, le Cavalier ayant préciser qu'ils étaient blessés, les nouveaux soldats fouilleront le village et découvriront cette petite maison, dans laquelle Louise et son frère se reposeront. Alors, ils seront fichus.
Trois jours, c'était assez pour que le Roi envoie des guerriers dans ce village.
Louise mordit sa lèvre inférieure, en proie à un dilemme intérieur. Ils ne pouvaient pas rester là. Ils mourront sans aucun doute.
Mais en même temps, si l'état de son frère est si critique, partir ne ferait que l'aggraver. Et alors, ils réussiront à s'éloigner, mais les soldats les rattraperaient en une petite journée, et Mathieu sera si mal au point qu'il ne parviendra pas à se battre. Et ils mourront.
Un gémissement sortit Louise de ses pensées, qui tourna les yeux vers son frère. Il tentait de se redresser, les yeux plissés. Louise se leva précipitamment et s'approcha de lui.
-Ne bouge pas, idiot. Tu vas te faire mal.
Mathieu leva les yeux vers sa sœur.
-Au point où j'en suis, marmonna-t-il.
-Tais-toi. Il faut que tu te reposes, alors sois gentil, arrête de bouger.
Mathieu soupira et cessa de résister. Il ferma les yeux, la bouche déformée par une grimace de douleur.
-On ne peut pas rester là, Louise... chuchota-t-il.
-Je t'ai dis de la fermer. On reparlera de ça demain, OK ? En attendant, dors.
-T'ai-je déjà dis à quel point tu m'énerves lorsque tu me donnes des ordres ?
Les lèvres de Louise frémir.
-Il me semble, oui.
-Alors pourquoi le fais-tu ?
-Tu tiens vraiment à ce qu'on se dispute ? soupira-t-elle.
-Loin de moi cette idée. Je...
Mathieu s'interrompit, et plaça une main sur son abdomen, les dents serrés.
-Je veux juste savoir pourquoi... gémit-il.
Louise passa une main dans les cheveux noirs de son frère. Elle regarda chaque trait de son visage, les yeux humides. Elle sentit les muscles de Mathieu se décontracter, sa respiration se faire plus profonde. Il s'était endormi.
-Je fais ça pour te protéger, grand-frère, murmura-t-elle alors.***
Les rayons du soleil qui passaient par la petite fenêtre derrière le canapé caressèrent le visage de Louise, qui sourit de plaisir. Elle s'étira comme un chat, et ouvrit doucement les yeux.
-Bonjour, lança une voix grave.
Louise se leva instantanément. Un vertige lui fit perdre l'équilibre, et elle dût s'agripper au fauteuil pour ne pas tomber. Une fois que ses yeux chassèrent le voile noir qui venait de lui tomber dessus, Louise rencontra le regard bleu du vieil homme qui l'hébergeait.
Alors, elle se rendit compte qu'elle s'était endormie. Alors qu'elle avait tout fait pour rester éveillée, elle avait été faible, et avait sombrer. Cette prise de conscience laissa un goût amer dans la bouche de Louise . Jamais elle n'avait à ce point baisser sa garde.
-Bien dormis ? demanda Lucien en lui tendant une tasse de café.
Louise l'ignora royalement, repoussa sa main et s'agenouilla près de son frère, qui dormait toujours.
-Je lui ai changé ses pansements il y a moins d'une heure, dit Lucien. Sa blessure a commencé à se refermer. Il semble bien réagir au traitement.
Louise, qui aurait préféré continuer à ignorer le vieil homme, ne put s'empêcher d'hocher la tête.
-Je vous en prie, sourit Lucien.
Louise mordit sa lèvre. Cet homme avait compris que son hochement de tête était le meilleur merci qu'elle était capable de lui communiquer. En rencontrant son regard, elle ne put s'empêcher de revoir son père. Il était un des seuls à la comprendre. Et ce vieil homme aux cheveux blancs semblait la comprendre mieux que personne. Il lui sourit gentiment et se remit à cuisiner.
Louise, encore émue, reporta son attention sur son frère. Elle caressa brièvement sa joue, et se leva. En restant dans cette maison, elle mettait tout le village en danger. Et ce Lucien l'avait aidée les yeux fermés. Il ne lui avait pas posé une seule question. N'importe qui aurait posé des centaines de question en voyant deux inconnus blessés et plein de sang entrer chez eux. Et lui n'avait rien dit. Louise lui en était infiniment reconnaissante.
Elle réprima son envie de fuir et prit sur elle-même.
-Que faîtes-vous ? demanda-t-elle en regardant par dessus l'épaule du vieil homme.
-Je prépare le petit-déjeuner. Théo risque de bientôt se réveiller, et au réveil, il avale une quantité surprenante de nourriture.
Une esquisse de sourire étira les lèvres de Louise.
-Hum... Je... Je peux vous aider ? proposa-t-elle, le feu aux joues.
-Bien sûr. Tiens, tu peux faire une omelette, si tu veux.
Louise ne prêta pas attention au tutoiement de Lucien, et prit des œufs. Elle les posa à coter d'une poêle, silencieuse. Son cœur lui criait de tout dire à cet homme, à lui expliquer à quel danger il s'exposait en l'aidant ainsi, mais son cerveau lui empêchait d'ouvrir la bouche. En apprenant la nouvelle, Lucien les jèterait dehors avant même que Mathieu soit rétabli. Louise ne pouvait pas prendre ce risque, même si c'était égoïste.
-Louise...?
L'interpellée releva la tête. Elle éteignit le feu et se dirigea vers le canapé où Mathieu se trouvait, les cheveux ébouriffés.
-Hey, murmura-t-elle en s'asseyant. Comment tu te sens ?
-Je me sens... bien. Je me sens bien, sourit Mathieu.
Il tenta de se redresser, mais suspendit son geste.
-Pas si bien que ça, tout compte fait, bougonna-t-il.
-Ne t'en fais pas, tu vas vite être remis sur pied.
-J'espère bien. Nous devons partir.
Louise se mordit la lèvre en détournant le regard.
-Écoute, Mathieu... On ne peut pas. Tu n'es même pas capable de te redresser, alors marcher, laisse tomber. Tu iras mieux dans deux jours. Nous partirons à ce moment-là.
-Dans deux jours ?! Tu te moques de moi, Louise ! Ils nous trouveront demain, réfléchis deux minutes !
Lucien, toujours dans la cuisine, ne pipait mot. Silencieux comme une carpe, il écoutait leur conversation très attentivement. Les deux bruns avaient oublié qu'il se trouvait dans la même pièce qu'eux.
-J'y ai réfléchis, figure-toi ! répliqua Louise. Et si toi tu réfléchissais avec un minimum de bon sens, tu saurais que partir aujourd'hui alors que tu ne peux pas marcher est encore plus irréfléchi, puisqu'ils nous retrouveront de toute manière, et que tu seras dans l'incapacité de te battre ! Alors au lieu de retarder l'échéance, je propose de rester là et de te soigner sans perdre de temps, pour que tu sois au moins capable de te défendre !
Louise reprit sa respiration, les yeux lançant des éclairs. Derrière toute cette colère se cachait une immense inquiétude. Elle ne pouvait pas lui céder et devait garder la tête froide, car, dans tous les cas, ils survivront. Ils le devaient.
Lucien observa la jeune brune calmement. Une lumière se dégageait de son être, une lumière aveuglante. Une lumière qu'il fallait à tout prix conserver.
-"Ils" ? demanda-t-il.
Louise se rappela brusquement de la présence du vieillard. Elle tourna la tête vers lui, le visage impénétrable.
-Ça ne vous regarde pas, cracha-t-elle.
La voilà redevenue comme hier, froide et craintive, songea Lucien.
-Je crains que ce ne soit le cas, si, rétorqua-t-il.
Louise se leva et s'approcha de lui, menaçante.
-Et qu'est-ce qui vous fait croire cela ?
Le visage de marbre, Lucien s'approcha à son tour.
-Le fait que vous soyez frère et sœur, sans doute, déclara-t-il._________
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Condamnée.
Teen FictionQue feriez-vous, si l'on vous reprochait d'être venu au monde ? Si la société dans laquelle vous viviez vous privait de votre liberté ? Si votre vie ne se résumait qu'à une fuite perpétuelle ? "-Et toi, qu'est-ce qu'on te reproche ? La jeune fille j...