QUINZE.

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Des jours passèrent, longs, mais ils passèrent. C'était l'automne, alors les chemins étaient encore praticables, bien que la terre soit imbibée d'eau. Les feuilles mortes qui jonchaient le sol donnaient des couleurs chaleureuses à la forêt hostile, et Louise ne pouvait s'empêcher de se sentir nostalgique devant ces beaux paysages. Elle aurait aimé les partager avec son frère, sa mère et son père. Oh, qu'est-ce qu'elle aurait donné pour obtenir une journée auprès d'eux, une unique journée. Si seulement...
Le chant d'une mésange sortit Louise de ses pensées, pour aussitôt l'y replonger. Les mésanges étaient les oiseaux que sa douce mère préférait.
Non, il fallait qu'elle arrête. Elle savait qu'elle ne flancherait pas, mais laisser ses souvenirs affluer ainsi n'était pas bon.
Louise leva la tête. Les arbres l'empêchaient de voir où elle en était, mais, elle le savait, elle était proche. Afin d'en être absolument certaine, Louise posa son sac contre le tronc rugueux d'un arbre et empoigna une branche. À la force de ses poignets, elle se hissa sur la branche et escalada l'arbre avec une facilité déconcertante. Arrivée au sommet, elle écarquilla les yeux et se baissa brusquement.
Comment cela se faisait-il ? Avait-elle mal évaluer la distance qui la séparait de la tour ? Non, elle en était certaine, cinq jours étaient nécessaires, voire plus.
Mais alors que cela faisait quatre jours et qu'il lui restait normalement un jour de marche, elle se trouvait à à peine un kilomètre de la Tour.
Elle surplombait la forêt de sa hauteur et de sa splendeur, faite d'énormes pierres grises qui se superposaient les unes sur les autres dans un désordre charmant, et à une hauteur inestimable à l'œil nu. Elle semblait toucher le ciel nuageux. Et, alors que pour Louise, elle n'était qu'une longue mèche de bougie décrépite, toute fine et longiligne, son diamètre devait être proche des quatre-vingt mètres. Elle était dépourvue de fenêtre.
Jamais Louise n'aurait pensé être si proche.
Elle descendit prudemment de l'arbre sur lequel elle était, et ramassa son sac. Inspiration, expiration. Il fallait qu'elle le fasse, interdiction de flancher. Pour s'aider, elle se repassa tous les moments de sa vie, tous, quasiment, tristes et injustes. Cela devait cesser. Ici, et maintenant.
Louise reprit son chemin d'un pas sûr, et se rendit compte que l'orée du bois n'était qu'à quelques mètres. Encore quelques mètres et elle serait à la vue de tous, découverte. Les mâchoires serrées, elle contourna un arbre, les yeux fixés sur le bas de la tour. Encore quelques pas...
La voilà. Elle y était. Un pas et elle serait à la merci des soldats du Roi. Un simple pas et son arrêt de mort sera signé.
La jeune brune leva un pied tremblant. Pour ses parents. Pour son frère. Pour tous ces innocents. Pour son salut.
La semelle de sa botte toucha le sol, et elle sortit, marchant d'un pas bien plus vif qu'au début. Pourvu que ça se finisse vite.

Un Pion qui était assigné au rôle de sentinelle vit un mouvement sur sa gauche. Il tourna la tête et se cacha les yeux face à la forte luminosité qui semblait éclairer la personne qui avançait vers l'entrée de la Tour. Il vit une silhouette féminine, habillée de noir, une cascade de cheveux charbon volant dans son dos. Même s'il ne l'avait jamais vu, il sut directement qui c'était.
-HALTE ! ARRÊTEZ-VOUS ! hurla-t-il en courant vers la renégate.
Louise tourna la tête vers le cri, et, alors que son corps entier lui criait de fuir, elle écouta son cœur qui l'obligea à ne pas bouger.
Le cri du Pion avait alerté d'autres soldats, qui accoururent vers la provenance du bruit. Louise, qui voyait tous ces gens armés courir vers elle, sentit qu'elle n'allait pas apprécier les prochaines minutes. Elle avala sa salive et se fit force pour ne pas dégainer son poignard caché dans son corset, la seule arme qu'elle s'était autorisée à emporter.
La première arrivée fut la sentinelle. Elle pointa son épée vers la jolie brune.
-Levez les mains.
Automatiquement, les dents de Louise grincèrent. Ce piètre Pion n'avait pas à lui donner des ordres. Mais elle devait lui obéir. Alors, à contre-cœur, Louise leva une main après l'autre, ses yeux noirs étincelants de rage plantés dans les yeux marrons du Pion. Ce dernier détourna le regard.
La seconde suivante, une horde de soldats entourèrent Louise et le Pion. Un silence pesant s'installa, durant lequel les soldats regardèrent Louise de haut en bas. Louise soutint le regard d'un soldat en particulier, qui arborait un sourire malsain. Il fut d'ailleurs celui qui brisa le silence en donnant une bourrade à un camarade.
-Eh bien, si le Roi m'avait dit que notre scélérate était si bonne, je ne me serais pas posé de question et aurait foncé ! lança-t-il, ce qui valut un éclat de rire viril général.
Garde ton calme, s'obligea Louise, qui n'ouvrit pas la bouche.
Le soldat s'approcha de Louise, tandis que les autres rigolaient encore en se donnant des tapes dans le dos. Il dépassait la brune de deux têtes, ce qui lui fit plaisir. Il la toisa du haut de sa grandeur, une lueur perverse dans les yeux.
-T'es venu jouer, ma puce ? J'ai un jouet en particulier qui pourrait te plaire, susurra-t-il en se penchant vers elle, de telle sorte que Louise put sentir son souffle sur sa bouche. Je t'amènerai au Roi après, promis.
Les soldats gloussèrent de plus belle. Louise était prête à laisser tomber ses promesses, mais tint bon. Elle se sentait capable d'encaisser les idioties de ces soldats. Enfin, elle le pensait.
Tout aurait pu se passer calmement si un soldat qui voulait faire son intéressant aux yeux de l'autre pervers s'était contenté de rire. Mais il avait fallu qu'il s'approche de Louise à son tour, et qu'il lui attrape les cheveux, pour ensuite les tirer et que sa tête se renverse en arrière.
-On a tous ce qu'il te faut, beauté.
Et cet imbécile, insouciant qui plus est, avait plaqué sa bouche contre celle de Louise, qui ne s'y attendait pas. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase.
Le point d'appui du soldat était la main qui tirait les cheveux de Louise. Celle-ci le savait, puisque tout le poids de son corps était penché vers elle. Alors la jeune fille ferma les yeux et asséna un coup de tête au soldat, qui trébucha. Et, alors qu'il aurait dû tomber en avant droit sur Louise, il bascula en arrière et finit fesses contre terre, grâce au coup de pied que la jeune brune avait fait glisser derrière ses chevilles.
Hébété, le souffle coupé, le soldat avait les yeux écarquillés. Louise se redressa tranquillement, et essuya sa bouche avec lenteur. Elle jeta un regard aux compagnons du soldat, et vit qu'ils hésitaient entre rire et défendre leur ami.
-Je suis venue pour voir votre Roi, annonça-t-elle. Pas pour faire mumuse avec des puceaux tels que vous. Alors si vous vouliez bien m'indiquer le chemin, je vous en serai reconnaissante.
Louise n'avait jamais dis ce genre de chose à quiconque. Cela ne lui plaisait pas, mais si c'était le seul moyen de leur faire ranger leurs petits "jouets" indomptables, et bien elle le dirait plus d'une fois. Toutefois, à son grand désarroi, cela ne les calma pas. Au contraire, le soldat pervers semblait énervé. Et ce n'était pas qu'une impression.
-Espèce de gamine insouciante. Qui traites-tu de puceau ? Faut-il que je te montre mon assurance dans ce domaine pour que tu fermes ta grande bouche ?
Louise n'aimait pas la tournure des évènements. Pourquoi avait-il fallu qu'elle tombe sur des puceaux refoulés dotés d'un égo surdimensionné ?
-Oh, excuse-moi. Aurais-je touché un point sensible ? demanda-t-elle d'une voix innocente.
-Je vais te faire ravaler ton insolence !
-Excusez-moi vous autres, lança Louise à l'adresse des autres soldats. Ai-je blessé l'égo de quelqu'un d'autre ? Histoire que je sache qui exactement voudrait tenter de me remettre à ma place.
Tous les soldats s'avancèrent vers elle.
-Je vois. Ce n'est pas bon d'avoir un égo surdimensionné, messieurs. Voyez où ça nous mène !
Louise regarda calmement tous les visages qui l'entouraient, le regard dur. Soudainement, un sourire enfantin éclaira son visage.
-Bien, qui sera le premier ? chantonna-t-elle, en position de défense.

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Mes autres histoires :
L'oubli de l'éternité
et
Vindicta.

Condamnée.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant