Enfermée dans la salle de bain, Louise s'était assise à même le sol, les mains sur la tête. Elle était perdue. Elle avait passée dix-huit années à fuir, à se cacher, sans rencontrer d'énormes problèmes. Elle avait certes perdue ses parents jeune, elle avait souffert. Mais elle n'avait jamais fait face à une situation pareille à celle qu'elle vivait aujourd'hui. Avant les deux derniers jours, elle n'avait jamais vu de Pions, ni même de Cavalier. Ses parents lui avaient fait une description de ces soldats, lui avaient enseigné l'art de se battre, lui avaient appris comment survivre.
Mais elle ne les avait jamais vu. Jamais réellement combattu. Jusqu'il y a deux jours.
À présent, non seulement elle avait provoqué un Cavalier, mais son frère était aussi blessé, et sa vie qui était déjà mouvementée était en train de partir complètement en vrilles. Le sang qu'elle avait mystérieusement perdu un peu plus tôt était un autre problème à ajouter à sa longue liste. Et cette Aïna, qui avait vu quelque chose mais qui ne se souvenait pas quoi ne l'aidait pas non plus.
Louise ne s'était jamais sentie aussi perdue qu'en ce moment-même.
-Louise ? murmura une voix derrière la porte contre laquelle elle était adossée.
La jeune fille soupira bruyamment et déverrouilla la porte. Elle s'éloigna vers le lavabo pour laisser le passage libre à la personne qui venait de l'interpeller.
La poignée tourna, et la porte s'ouvrit sur un grand homme aux cheveux blancs et aux yeux bleus scrutateur.
-Lucien, marmonna la brune.
Le vieil homme n'entra pas dans la pièce, mais ne quitta pas Louise des yeux. Cette dernière eut encore une fois l'impression qu'il lisait au plus profond d'elle-même, et elle se raidit légèrement. Elle soutint son regard sans ciller, le menton droit. Elle n'aimait pas ce sentiment qu'elle ressentait lorsqu'elle rencontrait ses yeux. C'était un amère mélange de peur et de respect, mais Louise ne le reconnaîtrait pour rien au monde.
-Tu peux me suivre ? demanda Lucien après être resté de longues secondes silencieux.
En fronçant les sourcils, Louise regarda sa silhouette se retourner pour s'éloigner. C'est alors qu'elle remarqua la longue épée qui reposait entre ses omoplates. Ses yeux s'ouvrirent légèrement, surprise.
Elle ajouta mentalement à sa liste de problème le mystère qui entourait Lucien.
Sans ressentir une once d'anxiété, Louise suivit le vieil homme. Ils passèrent devant le canapé où Mathieu était endormi, et en regardant aux alentours, Louise ne vit Aïna nulle part. Sans s'en préoccuper plus que ça, elle reporta son attention sur la nuque de Lucien. Il marchait d'une démarche sûre et assurée, et, avec son visage ainsi dissimulé, personne n'aurait pu penser qu'il devait avoir la cinquantaine.
Il sortit par la porte d'entrée, et Louise put se rendre compte qu'il y avait beaucoup moins de personnes que ce matin. Elle regarda avec attention autour d'elle, s'efforçant de retenir le chemin que Lucien empruntait. Elle se savait légèrement paranoïaque, mais rien ne pouvait lui assurer qu'elle était en parfaite sécurité. Peut-être le vieillard avait-il changé d'avis quant à la garder entre ses murs, et s'était rendu compte qu'il pourrait mourir à tous moments. Cette épée expliquerait cet éloignement de la maison. Voulait-il l'éloigner pour la tuer en toute tranquillité ? Pour que son frère n'entende rien, ni même les villageois ?
Malgré elle, Louise sentit ses épaules se raidirent, ce qui rendit sa démarche droite et rigide. En jetant un coup d'œil derrière lui, Lucien se retint de pouffer.
-Détends-toi, Louise. Je ne vais pas te tuer.
Le visage de Louise s'empourpra instantanément. Elle baissa la tête pour que ses cheveux cachent son embarras, et maudit le vieil homme intérieurement. Comment faisait-il pour deviner tout ce qui lui passait par la tête, nom de Dieu ?
-Où m'emmenez-vous ? demanda-t-elle une fois remise.
-Pas très loin du village, dans les bois. Nous y serons tranquilles.
-Dans les bois ? Pour quoi faire ?
-Patience. Tu le sauras bien assez rapidement.
Louise rongea son frein malgré sa grande envie de continuer à poser des questions. Elle suivit le vieillard dans un étroit sentier encadré de bruyères en fleur. Son cœur se serra en regardant les fleurs, et, malgré elle, elle s'arrêta. Lucien continua d'avancer quelques mètres, jusqu'a ce qu'il se rende compte que les pas de Louise s'étaient tus. Il se retourna et aperçut la jeune fille accroupie, son visage dissimulé par ses longs cheveux noirs. Il ne bougea pas. Non, il resta immobile, serein.
La respiration de Louise était saccadée, et malgré ses efforts, elle ne parvenait pas à la calmer. Elle en avait marre de ces vagues d'émotions qui surgissaient sans crier gare lorsqu'elle voyait, entendait, sentait, ou touchait quelque chose qui ravivait ses souvenirs.-Maman, maman !
Une femme aux yeux insondables se retourna en entendant le carillon de la voix de la petite fille. Elle sourit tendrement et ouvrit les bras en la voyant courir vers elle.
-Où étais-tu donc ? demanda-t-elle en attrapant sa fille. Où est-ce que ton père t'a emmené cette fois-ci ?
Celui-ci passa la porte à son tour, un sourire épanoui aux lèvres.
-On est allé dans la prairie à coter ! Maman, viens ! Il faut vite y retourner !
-Pourquoi, ma chérie ?
-La prairie est pleine de bruyères ! C'est magnifique, maman, viens ! Ce sont tes fleurs préférées !
La mère de l'enfant gloussa. Elle posa délicatement sa Louise au sol et caressa ses cheveux.
-Nous irons demain, mon ange. À l'aube, lorsque le soleil se lèvera. Il est trop tard pour sortir, dehors n'est pas sûr à cette heure, tu sais.
La petite grommela.
-D'accord... Je te réveillerai demain !
-Je compte sur toi ! sourit la mère.Une fine larme coula le long de la joue de Louise, qu'elle essuya rapidement. Elle se releva doucement, sans quitter les fleurs des yeux. Après avoir inspiré profondément, elle cacha son émoi derrière un masque d'impassibilité.
-Eh bien ? Avancez, je vous suis, Lucien.
Louise leva la tête vers l'homme aux cheveux blancs, les yeux allumés d'une lueur de défi. Son menton haut et ses sourcils relevés lui donnèrent une expression hautaine, qui n'échappa pas à Lucien. Il hocha la tête et reprit son chemin. Il venait d'assister à quelque chose qu'il ne pouvait pas comprendre, mais qui, pourtant, lui en apprit plus sur la jeune brune.
Louise suivit le vieil homme, ses yeux rivés à ses chaussures. Il fallait qu'elle se reprenne. Ses tracas et ses peurs n'étaient pas un prétexte pour relâcher à ce point sa garde. Que faisait-elle avec cet homme, déjà ? Elle le suivait sans savoir où elle allait, tandis que lui possédait une épée !
Cette prise de conscience la fit s'arrêter. Depuis quand accordait-elle sa confiance aux gens sans se poser de questions ? Il fallait à tout prix qu'elle se reprenne.
-Lucien ?
Le vieil homme se retourna.
-Où m'emmenez-vous ? demanda-t-elle à nouveau, glaciale.
-Je te l'ai dis, Louise. Dans les bois. Plus que cinquante mètres et nous arriverons.
Louise regarda autour d'elle, et ne vit qu'une vaste prairie. Pas un arbre à l'horizon. Quelque chose n'allait pas.
-Vous mentez, cracha-t-elle en reculant d'un pas. Où m'emmenez-vous ? répéta-t-elle, plus fort.
Lucien, qui voyait bien que le peu de confiance que Louise lui avait accordé jusqu'à présent venait de s'évaporer, soupira en fermant les yeux. Bon, il n'avait plus le choix.
Il rouvrit soudainement les yeux, et, aussi vif qu'un aigle fondant sur sa proie, il se retrouva devant Louise, son épée dégainée.
Louise, prise par surprise, eût à peine le temps de se jeter à terre en voyant l'épée se diriger droit vers son cou. Elle roula, se releva.
Lucien la regarda. Louise posa la main sur sa ceinture, pensant y trouver son poignard qui ne la quittait jamais. Mais elle avait beau tâter, elle ne le sentait pas. Elle se risqua à jeter un coup d'œil, et fut épouvantée.
Il n'était pas là !
Elle releva les yeux vers Lucien, qui arqua un sourcil blanc, un doux sourire aux lèvres. En baissant un peu les yeux, Louise vit dans la main qu'il levait une longue lame surmontée d'un manche en cuir, où pouvaient se deviner de délicats dessins.
Son poignard.____
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Condamnée.
Teen FictionQue feriez-vous, si l'on vous reprochait d'être venu au monde ? Si la société dans laquelle vous viviez vous privait de votre liberté ? Si votre vie ne se résumait qu'à une fuite perpétuelle ? "-Et toi, qu'est-ce qu'on te reproche ? La jeune fille j...