Le sang de Louise ne fit qu'un tour. Lucien avait son poignard, elle était désarmée. Mais le vrai problème n'était pas spécialement là. De un, il avait réussi à prendre son poignard avec une facilité, une rapidité, et une discrétion déconcertantes. Elle n'avait rien vu, rien sentis. Louise sentit le rouge lui monter aux joues, honteuse d'avoir été si passive. Mais là encore, ce n'était pas le vrai problème.
Il avait son poignard. Le poignard de son père. Son poignard qu'elle avait récupéré sur le corps inerte de la personne qui l'avait toujours protégée. Et ce vieillard, insoucieux, s'amusait avec, comme s'il ne s'agissait que d'un simple jouet pour enfant.
Louise, les yeux plus froids que jamais, articula lentement :
-Rendez-moi mon poignard.
Elle ne savait pas pourquoi elle s'embêtait à continuer à le vouvoyer, mais c'était plus fort qu'elle. Malgré son attaque lâche, elle ne pouvait pas s'empêcher d'éprouver du respect pour cet homme. Ça la révoltait.
-Plaît-il ? demanda Lucien, un rictus aux lèvres.
-Rendez-moi mon poignard, répéta Louise.
-Pourquoi ? Tu ne te sais pas te battre sans arme ? la provoqua Lucien.
-Et vous, vous ne savez pas vous battre contre un adversaire sans avoir besoin de le désarmer ?
Un sourire reflétant de la fierté naquit sur les lèvres de Lucien. Mais il fut si fugace que Louise se demanda si elle n'avait pas rêvé.
Alors, un "pouf" retentit. Lucien venait de jeter son épée au loin. Louise regarda l'arme en question, pas sûre de la signification de ce geste. Il ne veut plus se battre ? Légèrement déçue, Louise fit la moue.
-Ne fais pas cette tête, on va se battre.
Louise releva rapidement la tête, les yeux pétillants. Pourquoi n'arrivait-elle pas à se méfier de cet homme ? Pourquoi lui semblait-il qu'à aucun moment il ne l'avait réellement attaquée ?
Comment savait-elle que tout cela n'était que mascarade ?
Un léger carillon retentit. Lucien ouvrit grand les yeux. Était-ce vraiment un rire ? Louise était-elle réellement en train de rire comme une enfant insouciante ?
-Non, gloussa Louise.
-Pardon ?
-Je ne me battrai pas contre vous, Lucien.
Lucien, le poignard de Louise toujours à la main, soupira. Il s'approcha de la jeune fille, et lui tendit son arme.
-Tiens. Je ne te mentais pas, tu sais. Je tenais réellement à t'emmener dans les bois, et ils sont bien à cinquante mètres. Oui, je sais, tu ne les vois pas. Mais il ne saurait tarder.
Louise ouvrit la bouche pour poser une question, mais Lucien la devança.
-Pourquoi t'emmener ici ? Je voulais voir comment tu te débrouillais au combat, avoua Lucien. Je me ferais un plaisir de t'entraîner, soit dit en passant.
-Oh. Eh bien, c'est vrai que...
L'expression horrifiée qui venait de naître sur le visage de Lucien coupa Louise. Son visage d'ordinaire impassible reflétait une angoisse telle que la brune fut obligée de suivre son regard et de se retourner, sur ses gardes. Louise plissa les yeux et vit au loin de la fumée monter dans le ciel. L'épais nuage, grisâtre, ne laissa aucun doute sur sa nature : il provenait d'un feu.
Louise vit Lucien passer à coter d'elle à une vitesse sidérante, et le suivit instinctivement. Ils partirent dans une course contre la montre, leurs pensées habitées par la même phrase : pourvu qu'ils n'arrivent pas trop tard.
En effet, le feu venait incontestablement du village. Et vu l'expansion de la fumée, il s'agrandissait à vue d'œil. Louise pria aussi fort que possible, pria pour que son frère fuit le plus rapidement possible. Pour que le scénario ne se répète pas une fois encore.
Les deux coureurs arrivèrent rapidement à l'entrée du village, et furent bouleversés par ce qu'ils virent.
Les toits des maisons étaient en feu, les jardins, les potagers, les portes et les rues étaient saccagés. Louise sentit son cœur se serrer, une sensation désagréable serra son ventre. Cette scène lui était bien trop familière...
Une femme, un enfant dans les bras, traversa soudainement la rue, la tête baissée pour se protéger avec son enfant de l'air irrespirable. Mais elle ne regardait pas où elle allait, trop concentrée sur la sécurité de son enfant.
Un Pion se dressa sur son chemin, tendit la jambe et lui fit un croche-pied. La jeune femme s'étala sur le sol en poussant un petit cri, le petit serré contre son sein.
Louise, qui était incapable de bouger, sentit quelque chose remuer au fond d'elle. Comment ce Pion avait-il osé ? C'était un acte d'une telle lâcheté !
La jeune brune, lorsque le Pion leva son épée au-dessus de la femme qui ne s'était pas relevée, se projeta en avant. Mais Lucien, qui était plus vif, l'avait à nouveau devancé. Il dégaina son épée, et, dans le même mouvement, décapita le Pion. Sans une once d'hésitation.
Louise se précipita vers la femme et tendit les mains pour l'aider à se relever. Mais cette dernière se fit lourde, et repoussa les mains de Louise. C'est alors que Louise remarqua le tremblement des épaules de la femme, qui était secouée par des sanglots. Elle s'accroupit devant elle et dit d'une voix douce :
-C'est fini, madame. Tout va bien. Partez vite avant que quelqu'un ne vous voit.
Mais elle n'obtint aucune réponse. Au lieu de ça, la femme hurla à la mort. Louise baissa les yeux et vit le petit toujours serré contre elle. Mais il ne pleurait plus. Et, lorsqu'elle regarda plus attentivement, elle se rendit compte que ses bras étaient ballants, que du sang coulait de son crâne. La femme portait le corps inerte de son enfant dans les bras.
Louise, prise de nausée, sentit ses jambes la lâcher. Elle tomba fesses contre terre, les yeux écarquillés.
-Il-il s'est p-pris une pi-pi-pierre... bafouilla la femme entre deux sanglots.
Le sol tourna anormalement autour de Louise. Aveuglée par un brouillard rouge, elle ne parvenait pas à quitter le petit des yeux. Ce Pion avait osé s'en prendre à une femme et un enfant sans défense. Ils ne cherchaient qu'à vivre.
La respiration de Louise se fit sifflante, et des points dansèrent devant ses yeux. Non, ce n'était pas possible. Un tel acte ne pouvait pas s'être réellement déroulé sous ses yeux. Non, personne ne pouvait oser faire une chose pareille. C'était bien trop inhumain.
-... Louise, respire !
Louise sentit sa tête projetée sur le côté, et sa joue se fit chaude. Elle reprit brusquement ses esprits et sauta sur ses pieds. Mais sa tête tourna et l'obligea à se tenir à Lucien quelques secondes.
-Doucement... chuchota Lucien.
-Je vais le tuer, grogna-t-elle tout bas.
Lucien baissa la tête vers la jeune fille, n'ayant pas entendu.
-Je vous jure que je vais le tuer ! rugit-elle.
Sans attendre quoi que ce soit, Louise s'élança à travers la fumée, secouée par une rage indomptable. Ils allaient tous payer, un par un. Il allait payer.
-Attends, Louise ! Et ton frère ! cria Lucien, qui s'était lancé à sa poursuite.
Louise s'arrêta brusquement. Elle regarda autour d'elle, tentant de reconnaître les lieux. Là, à gauche ! Ça la mènera à la maison de Lucien. Louise poussa sur ses jambes et traversa la rue en quelques enjambées, sans tomber sur de Pions.
Mais, lorsqu'elle arriva devant la maison en question, elle vit le monde vacillé. Elle battit des paupières, et toussa un bon coup, les poumons plein de cendre.
La porte de la maison était enfoncée. Un silence de mort régnait, et, lorsque Louise fit un pas, une déferle d'images passèrent dans son esprit. Et s'il était mort ? Si elle était arrivée trop tard, encore une fois ?
Elle ne se le pardonnerait jamais. Inquiète comme elle l'a été le jour où sa vie s'était bousculée, Louise leva son pied, prête à passer le pas de la porte. Mais son mouvement s'interrompit lorsqu'elle entendit une voix grave, qui rompit le silence, susurrer :
-Tu n'es pas en position de résister, petit. Alors sois gentil et arrête de nous faire perdre notre temps. Où se trouve Louise Daum ?
Louise, qui avait tout de suite reconnu la voix, écarquilla les yeux. La fraction de seconde suivante, elle était à l'intérieur de la maison, face au dos du Cavalier noir.________
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Vindicta.
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Condamnée.
Teen FictionQue feriez-vous, si l'on vous reprochait d'être venu au monde ? Si la société dans laquelle vous viviez vous privait de votre liberté ? Si votre vie ne se résumait qu'à une fuite perpétuelle ? "-Et toi, qu'est-ce qu'on te reproche ? La jeune fille j...