TREIZE.

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Seule au milieu de la nuit silencieuse, Louise marchait, les mains serrées autour de son corps qui tremblait. Elle avait fait le bon choix.
Le hululement d'un hibou lui fit lever la tête vers le ciel nocturne. Il était splendide. Les étoiles brillaient d'une intensité forte, qui lui fit repenser au regard de son frère avant qu'il ne ferme les yeux. Elles brillaient du même éclat, de la même force.
Louise détourna son regard, et se concentra sur là où elle mettait les pieds. Malgré la lumière de la lune, elle n'y voyait pas clair. Un pas devant l'autre, léger comme la plume d'un oiseau, elle avançait sans encombre. Elle savait parfaitement où elle se dirigeait. Et rien ni personne ne l'arrêterait.
Sa froide détermination la surprit elle-même. Alors qu'elle était rongée par les remords, elle parvenait à rester lucide, la tête froide.
Mais comment allait réagir Mathieu lorsqu'il se réveillera ? Qu'allait-il faire lorsqu'il ne verra sa sœur nulle part ? Peut-être ne verra-t-il pas la lettre posée sur la table de la salle à manger.
Louise s'arrêta. Si, il la trouvera. Il devait la trouver, ou alors il se mettra à sa recherche sans réfléchir. Oui, il la trouvera.
La jeune brune atteignit l'orée du bois dans lequel elle se trouvait. Elle scruta attentivement les ténèbres, et fit un pas prudent dehors. Elle attendit quelques secondes, immobile.
Aucun mouvement.
Elle s'autorisa alors à avancer calmement. Elle leva les yeux et vit au loin son objectif. Un sourire en coin étira ses lèvres.
Une immense tour grisâtre se détachait de l'horizon, surplombant les plaines et intimidant les montagnes. Quelques kilomètres séparaient la fille et la tour. Quelques jours seulement.

***

Mathieu se réveilla en sursaut. Il grimaça en sentant sa blessure lui faire mal, mais s'obligea à s'asseoir. Quelque chose n'allait pas. Il regarda par la fenêtre et vit le soleil se lever paresseusement sur l'horizon. En se tournant vers la cuisine, il vit Lucien, accoudé sur la table, le regard perdu dans le vide. Il était seul.
-Lucien ? appela doucement Mathieu.
Le vieil homme se tourna vers le brun, et lui lança un regard indéchiffrable. Il se leva, s'avança vers lui, et pressa son épaule. Mathieu fronça les sourcils face à ce contact qui se voulait compatissant. Que se passait-il ?
Lucien sortit dehors, et Mathieu se retrouva seul dans la maisonnette.
Ça y est. Il avait comprit ce qu'il ne trouvait pas normal en se réveillant. Louise n'était pas à son chevet.
Où est-elle ? Avec force de courage, Mathieu s'appuya sur le canapé et se leva. Sa tête tourna quelques secondes, mais son malaise passa rapidement. Il avança prudemment vers la porte d'entrée, qu'il ouvrit en grand.
Les rues étaient vides. De la poussière emplissait l'atmosphère, qui empêchait Mathieu de voir clairement. Les souvenirs de la veille lui revinrent alors brusquement.
C'était normal, si personne ne se bousculait dans les rues. Cette poussière n'était autre que les cendres des maisons et des hommes qui ont été pris par les flammes.
Le jeune brun avala douloureusement sa salive. Il ferma les yeux avec force et chercha Lucien du regard. Il avança un peu, et le vit sortir d'une maison, la mine contrite. Une jeune fille sortit après lui, les yeux cernés. Ils s'approchèrent d'une autre maison, poussèrent un bout de bois en se protégeant les yeux.
Ils ressortirent avec la même expression quelques secondes plus tard.
Mathieu s'approcha des deux individus, la main sur l'abdomen.
-Lucien ? Ah, c'est toi, Aïna. Vous n'auriez pas vu Louise, par hasard ?
Lucien et Aïna échangèrent un regard.
-Non, navré, fit Lucien, le visage de marbre.
Mathieu se frotta le crâne en baissant les yeux.
-Merci.
Il repartit vers la maison, décidé de voir à l'étage si elle n'avait pas préféré dormir dans un lit douillet plutôt que dans le fauteuil délabré.
Lucien suivit le jeune homme des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse de son champs de vision.
-Je ne peux pas, Monsieur. J'aimerais, sincèrement, mais je... je n'y arriverai pas. Je suis désolée, s'excusa Aïna.
Lucien posa une main réconfortante sur l'épaule de la petite rousse.
-Tu n'as pas à te sentir obligé de quoi que ce soit, Aïna. Je comprends que tu ne veuilles pas. Laisse-moi m'en occuper. Il ne saurait tarder que Mathieu trouve la lettre de sa sœur et nous communique ce qui y est écrit. Nous saurons ensuite où elle est allée. Même si j'ai ma petite idée.
Aïna baissa la tête, reconnaissante. Elle aurait réellement voulu les aider à la retrouver, mais elle ne se sentait pas à utiliser ses pouvoirs. Pas après l'incident de la dernière fois, pas après avoir ressentit une peur pareille et avoir vu la mort de si près. C'était tout bonnement impossible.

Comme l'avait dit Lucien, de courtes minutes passèrent avant que Mathieu ne les retrouve. Il brandissait un papier d'une main tremblante, hors d'haleine, les yeux hagards.
-Lucien ! Lucien, elle est partie ! Louise est partie ! hurlait-il, la voix tremblante de colère et de peur.
Lucien savait qu'elle était partie. Il l'avait vu sortir au beau milieu de la nuit, alors qu'il était avec Aïna dehors, à la recherche d'un quelconque miraculé. Elle ne les avait pas vus. Lucien s'était contenté de la regarder quitter le village avec son sac sur le dos, sans essayer de l'arrêter. Aïna s'était mise en mouvement pour la rattraper mais il l'en avait empêché. S'il y avait bien une chose que Lucien respectait et ne changerait jamais chez Louise, c'était sa liberté. Elle était libre de partir sans les prévenir. Il n'irait pas contre ce choix. Aïna avait eu du mal à l'écouter, mais elle s'était finalement résignée.
-Lucien ! cria Mathieu.
Lucien sortit de ses pensées et regarda Mathieu. Aïna s'éclipsa discrètement.
-Où ça ? demanda-t-il calmement.
-Elle est partie voir le Roi ! Cette petite insouciante est partie au beau milieu de la nuit voir le Roi !
Il le savait. Dès qu'il avait vu l'expression de Louise en entrant dans le village, il savait qu'elle allait prendre une décision. Lucien n'était pas dupe. Il avait beau la connaître depuis à peine trois jours, et encore, elle était infiniment secrète, il savait que cette journée avait été imprimée au fer rouge dans sa mémoire. Comme tant d'autres, sans aucun doute. Il l'avait cernée. Il savait qui elle était réellement. Pas cet animal froid et distant du premier abord, non. Elle était tellement plus.
Il savait qu'elle allait prendre la mauvaise décision. Bien évidemment.
Alors, Lucien détourna son regard du frère de Louise et entra dans sa maison. Il appela Théo et Aïna rapidement et attrapa son épée qu'il avait placé à coter de la cheminée la veille. Il la plaça entre ses omoplates et plaqua ses paumes sur le dossier du canapé.
-Bien. Je vais faire un tour. Théo, prépare le repas, s'il te plaît. Aïna, occupe-toi des blessures de Mathieu. Je serais de retour dans une petite heure.
-Pardon ?! explosa Mathieu. Comment pouvez-vous parler avec autant de calme ? Vous ne pensez tout de même pas que je vais rester bien sagement ici alors que ma sœur est en danger ? Je vous ai dis qu'elle était partie retrouver le Roi ! Lucien, bon sang...
-Je vous ai entendu, Mathieu, le coupa Lucien.
Le brun resta sidéré. Bouche bée, il passa tous les visages baissés qui l'entouraient en revu. Pourquoi semblaient-ils si désolés et pourtant pas impliqués ? Il s'agissait de Louise, il s'agissait de sa sœur ! Ah, mais... Justement. Il s'agissait de sa sœur. Pas de la leur. Ils ne la connaissaient pas, eux. Mathieu serra les mâchoires. Évidemment, elle n'était qu'un problème en moins, pour eux. Comment avait-il fait pour ne pas le remarquer ? Louise avait sans aucun doute dû se le dire, ça aussi. Ça lui ressemblait tellement ! Elle ne faisait que se préoccuper des autres, sans penser à elle. Elle n'était qu'une gêne pour tout le monde, à ses yeux.
Comment avait-il pu être si aveugle ?
-Très bien, lâcha-t-il. Dans ce cas, Aïna, tu n'auras pas besoin de t'occuper de moi aujourd'hui. Ni aucun d'entre vous. Je me tire.
Sur ces paroles, Mathieu attrapa son sac et sortit. Il ne laisserait pas sa sœur foncer droit dans la gueule du loup alors qu'ils avaient passés dix-huit ans à se battre pour ne pas en arriver là. S'ils devaient voir le Roi, ce n'était sûrement pas têtes inclinées et soumis.
Si le Roi avait un jour le malheur de rencontrer leur chemin, ce serait droits et armés qu'il devra les affronter.

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Vindicta.

Condamnée.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant